À Baden-Baden, se déploie une ample rétrospective peuplée de nombreuses Angry Girls revendicatrices, dédiée à Yoshitomo Nara, superstar de l’art contemporain.
Les fillettes de Yoshitomo Nara (né en 1959) mettent le visiteur mal à l’aise : une grosse tête, des yeux surdimensionnés – rappelant curieusement les toiles de Margaret Keane – et un air bien souvent hostile, voire mauvais. Une Angry Girl, un couteau dentu à la main, qui vient de trancher une fleur en est le plus beau symbole : elle nous regarde, provocatrice, un sourire sardonique s’ouvrant sur des dents pointues, d’où coulent quelques gouttelettes de sang (Dead Flower 2020 Remastered, 2020). Sur sa tunique verte éclate un « Fuck You » en lettres rouges. D’autres peuplent les cimaises du musée. Certaines ont la semblance de passionarias, balançant des messages simples et directs (Stop the Bombs, 2019), tandis que leurs sœurs sont pleines de spleen, à l’image de l’iconique In the Milky Lake / Thinking One (2011) où un personnage, baignant dans une onde laiteuse, exprime une irrépressible tristesse. Réalisée juste après le tremble- ment de terre et le tsunami de la côte Pacifique du Tōhoku, en mars 2011, qui engendra la catastrophe de Fukushima, cette immense toile montre que « l’artiste est devenu un des porte-étendards du mouvement anti nucléaire. Il dénonce le paradoxe d’un pays, le sien, dont les populations civiles ont souffert des bombardements de Hiroshima et Nagasaki, mais qui persiste à tenir au nucléaire », résume Daniel Zamani, commissaire de cette exposition. Et celui qui est aussi le directeur artistique du Museum Frieder Burda insiste sur le côté politique de notre homme.
Impossible en effet de le résumer à une esthétique kimo-kawaii – oscillant entre le mignon et le creepy, pour faire simple –, ni de l’inclure dans le mouvement néo-pop Superflat initié par Takashi Murakami – il s’y refuse. Yoshitomo Nara porte un regard singulier sur le monde, entre blessure venue de l’enfance – la sienne fut solitaire et guère solaire – et rébellion contre le monde adulte. Une gamine mutine à l’incisive de vampire marche sur la tête d’Adolf Hitler (Peace Girl, 2019) rappelant qu’il fut étudiant à la Kunstakademie de Düsseldorf à la fin des années 1980, où il eut A.R. Penck comme professeur. Si ses compositions semblent simples, ce n’est qu’une apparence, puisqu’il vient questionner l’art européen avec grande finesse, de tondos évoquant la Renaissance (Slight Fever, 2001) dans leur rapport entre un arrière-plan simplifié et le personnage, en teintes pastel glacées proches des fresques de Giotto.
Au Museum Frieder Burda (Baden-Baden) jusqu’au 27 avril
museum-frieder-burda.de