We can be Hiéro

Fin des années 1980, c’était un véritable sacerdoce que d’organiser des concerts de musiques actuelles en Alsace. Quelques militants de la cause rock décidèrent de changer la donne : l’équipe du Noumatrouff de Mulhouse et de Hiéro Colmar fêtent aujourd’hui leurs vingt ans. Souvenirs, souvenirs…

En quoi vos destins sont-ils liés ?

Olivier Dieterlen, directeur du Noumatrouff : En 1990, la fédération Hiéro est née d’une initiative en faveur de la diffusion musicale. Le nom vient d’un fanzine satirique local, Le Hiéroglyphe. Le Nouma, géré par la fédé, vit le jour le 7 août 1992 grâce à une mobilisation citoyenne, associative et militante. Il a été inauguré au moment de la seconde édition du festival Bêtes de scène. Au début, il s’agissait de la mise à disposition précaire d’une friche industrielle rapidement mise aux normes par la municipalité, mais ça n’a jamais arrêté. En 1999, après avoir à nouveau interpellé le conseil municipal, la seconde salle de 600 places et les espaces de répétition ont ouvert. Suite à cette expérience mulhousienne, Nicolas et Jean-Damien ont lancé Hiéro Colmar. Puis, il y a eu un essaimage, à Belfort, Dijon, Lille, Limoges, Strasbourg…

Nicolas Jeanniard, président de Hiéro Colmar : En 1991, Jean-Damien et moi, auteurs de Speeding magazine – qui n’est hélas jamais sorti –, faisions une émission sur Dreyeckland, Torpedo, où nous parlions de musique, de concerts que l’on voyait à Freiburg ou à Bâle. À la radio, nous avons rencontré Jean-Luc Wertenschlag de Hiéro Mulhouse, un de nos parrains, qui nous a aidé à monter les statuts de Hiéro Colmar et à organiser notre premier concert, en avril 1992 à la MJC, avec les Maniacs ou Chris Wilson des Flamin’ Groovies. Nous étions des teenagers fans de musique et de cinéma expérimental : l’idée n’était pas de créer un lieu, mais en voyant ce qu’il se passait à Mulhouse, nous nous sommes battus pour la construction du Grillen que nous devions gérer dès son ouverture, en 1998. Suite à un désaccord avec la municipalité, nous avons finalement refusé sa gestion. Vu les tensions, nous avons organisé une manif’ pour continuer et obtenir des subventions qui nous ont permis de nous professionnaliser, d’avoir des salariés…

Êtes-vous nostalgiques des débuts, lorsque tout était à écrire ?

Olivier : Il y avait un côté excitant, c’est certain ! Au départ, j’étais un musicien qui papillonnait autour de cette équipe et je n’imaginais pas que ça allait occuper toutes ces années de ma vie. Aujourd’hui, l’association gère un équipement important, fait partie de réseaux nationaux et continue à construire l’histoire, donc je n’ai pas le temps d’être nostalgique.

Nicolas : Beaucoup de gens ont compté : Fabrice, Simon, Jacques, Micka, Kiwi, Mathieu, Julien, Benjamin, JB ou Pierre… Nombreux sont ceux qui ont quitté Colmar et il m’arrive d’être un peu mélancolique de certaines périodes. Je reste motivé par la construction de nouveaux projets, de nouvelles rencontres et je suis tout autant enthousiaste par l’idée de faire venir les Wave Pictures, Caspian ou Allo Darlin’ que je l’étais de programmer Ben Vaughn ou Supreme Dicks.

Vos meilleurs souvenirs ?

Olivier : Dreadzone, Biohazard, Natacha Atlas ou Young Gods qui a fait un super concert donnant lieu à un album Live ! Je me rappelle de Dionysos, Têtes Raides, Wampas, Louise Attaque… Toute cette scène est passée à Mulhouse. En vingt ans, près de 6 000 groupes sont venus ici, mais je reste sensible au moment où la lumière s’allume et s’éteint dans la salle.

Nicolas : Il y en a tellement : les Pastels, Calvin Johnson, Mecca Normal, Papas Fritas, Yo La Tengo, Dominique A, Cornershop ou Dub Narcotic… Je ressens un véritable plaisir d’avoir investi le Grillen, mais aussi des endroits comme la Salle 06, la MJC, le café des trois Colombes, le musée du jouet ou la Chapelle à Saint-Marie-aux-Mines.

Ressentez-vous, parfois, l’envie de raccrocher les gants ?

Olivier : Les coups durs mettent à l’épreuve l’équipe et la soudent. Quand tu as une salle pleine et qu’un Finley Quaye refuse de monter sur scène parce que son bassiste est bloqué à l’aéroport, c’est stressant, mais de là à baisser les bras… La pression fait partie de la magie du spectacle.

Nicolas : Tant que nous sommes plusieurs, salariés et bénévoles, à avoir envie de poursuivre l’aventure avec passion, je ne vois pas pourquoi j’arrêterais…

Quels ingrédients sont essentiels pour tenir aussi longtemps?

Olivier : Une envie commune de musique et de la ténacité. Aujourd’hui, nous pouvons nous enorgueillir d’avoir accompagné, avec des “militants bâtisseurs” comme L’Ubu à Rennes ou Le Confort Moderne à Poitiers, le processus d’installation des musiques actuelles dans le paysage français.

Nicolas : Hiéro Colmar continue de proposer une alternative. Nous n’avons pas de salle à gérer et, quelque part, ça permet une grande liberté. Nous pouvons programmer dans divers lieux, faire du cinéma (les projections en plein air durant le festival Natala, NDLR), sortir des disques (The Colmar Tapes, à l’issue de la résidence d’Herman Dune…), des résidences, des ateliers, des festivals (Supersounds…)… Nous nous considérons comme une épicerie fine.

Comment ça se fête, vingt ans ?

Olivier : En programmant des artistes en vue et d’autres plus à la marge, en continuant à défendre la scène locale, en réservant de belles surprises à nos 1 000 adhérents. Nous désirons être la caisse de résonance de la sono mondiale. Les vingt ans sont l’occasion de réfléchir à l’avenir du Nouma et, pourquoi pas, à un nouveau lieu…

Nicolas : Nous sortons un fanzine d’une centaine de pages et un double vinyle du violoncelliste Tom Cora qui était en résidence à Colmar. Nous allons continuer à organiser des concerts et des festivals, notamment grâce à un comité de programmation et des cartes blanches. L’aventure collective continue.

À voir au Noumatrouff de Mulhouse dans le cadre du festival GéNéRiQ : Why ? et Frànçois & The Atlas Mountains (vendredi 23 novembre), Oxmo Puccino (mercredi 28), Dandy Warhols (vendredi 30)…

http://noumatrouff.fr

À voir avec Hiéro Colmar : Allo Darlin’ à l’Absynth Bar (jeudi 12 novembre), ciné club de l’Apocalypse au cinéma Colisée (comme tous les 21 du mois). Résidence de Piano Chat prévue en 2013

http://hiero.fr

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