Tombé dans le hip-hop petit, Wax Tailor, frenchy producteur que les vieux briscards du rap US s’arrachent, revient avec Fishing for Accidents, confirmant son tropisme pour le rythme et la poésie.
Vous vous faites rare dans les médias… On sait peu de choses de Wax Tailor. Qui êtes-vous ?
Quelqu’un de discret. Un producteur, compositeur et DJ, qui fait de la musique depuis fort longtemps maintenant, puisque j’ai créé mon label il y a 25 ans et sorti mon premier album il y en a près de 20 déjà.
Vous êtes originaire de Vernon, dans l’Eure. Comment un gars normand se retrouve-t-il dans le milieu du hiphop américain ?
Les hasards et les nécessités de la vie ! Tricky, Ghostface Killah du Wu Tang Clan… tous ceux avec lesquels j’ai collaboré sont dans la même tranche d’âge que moi. On partage des références et une certaine vision. J’appartiens à cette génération qui a découvert la culture hip-hop tout gamin, au milieu des années 1980. La décennie suivante, j’ai franchi le Rubicon pour en devenir un acteur : j’ai travaillé dans une radio indépendante de Mantes-la-Jolie, initié une petite activité de MC, une autre de production, etc. C’était très protéiforme, jusqu’à ce que je structure tout cela en créant mon label et en montant des tournées. Ce côté artisanal du producteur indépendant est un fil rouge de mon parcours : ne pas frayer avec les grosses structures, les multinationales du disque pour lesquelles je n’ai pas grande sympathie, c’est dans mon ADN !
Pourquoi cette défiance vis-à-vis de l’industrie musicale ?
Parce que c’est une industrie, précisément. Je n’ai pas de problème avec le fait de vendre de la musique comme on vend des petits pois, mais qu’on ne vienne pas ensuite masquer ces motivations purement financières par des pseudo intentions artistiques ! Je sais bien qu’il y a aussi plein de gens sincères et passionnés dans les maisons de disques – j’en ai rencontré un certain nombre –, mais la logique commerciale de masse les rattrape toujours. Et c’est de pire en pire : aujourd’hui, les majors ne signent même plus d’artistes qui n’auraient pas déjà fait leurs preuves sur Internet. Sans parler du fait que, dans ce secteur, c’est oligarchie et népotisme à tous les étages ! La reproduction sociale y est délirante. Bourdieu est dans la place, croyez-moi ! Il n’y a guère que le rap qui soit encore un peu à part de cette logique, mais pour combien de temps ?
Et ce nom d’artiste, d’où vient-il ?
Il signifie ”tailleur de cire” en anglais, la cire faisant référence aux vinyles et le terme ”tailleur” à l’idée qu’un morceau s’élabore comme un costume sur-mesure. Ma matière première à moi, ce sont des samples, pas des claviers ou des guitares : je voulais mettre en avant ce fait de fabriquer des instruments en extirpant des sonorités des vinyles.
Fishing for Accidents est votre septième album. Comment est-il né ?
D’une phrase prononcée par Orson Welles dans un film documentaire, où il explique que son art consiste, entre autres, à savoir “capturer les accidents”. Cette idée d’apprendre à faire quelque chose des imprévus et des aspérités qui surgissent sur votre route me parle beaucoup. C’est aussi une bonne définition du travail qui est le mien en tant que producteur. Mon quotidien consiste à chercher des sonorités dans des disques et le simple fait de poser une cellule sur un vinyle, c’est déjà provoquer un accident. Je ne sais jamais ce que cela va donner. C’est une quête à travers le champ des aléas.
Sur la piste d’ouverture, vous déclarez « I’m a craftman »…
Je me considère comme un artisan bien plus qu’un artiste. J’ai construit ma carrière comme cela et, après vingt-cinq ans de métier, en jetant un œil dans le rétroviseur, je me rends compte que c’est ma seule fierté ! Je n’ai aucune prétention sur le reste – j’ai bien conscience de n’être ni Bowie ni McCartney –, mais je suis heureux d’avoir accompagné de ma musique la vie de certaines personnes, et cela, sans jamais faire de compromissions.
Parlez-moi de Freaky Circus, en featuring avec Mr Lif et Napoleon Da Legend. De quoi est-il question dans ce titre ?
De nous et du monde dans lequel on vit. Franchement, depuis quelques temps, quand j’allume la télévision, j’ai vraiment l’impression de vivre dans un cirque ! On est face à des mass-médias qui nous prennent pour des imbéciles. Leurs programmes sont des armes de distraction massive, où il n’y a plus une seule once de débat ni aucun fond. Il suffit de voir le poids qu’on est capable de donner à quelqu’un comme Cyril Hanouna… Cela a tout d’une mauvaise blague, et c’est assez terrifiant. On est entrés dans le règne de l’idiocratie. Voilà ce que décrit ce morceau, le cirque contemporain, avec ses réseaux sociaux pour chapiteau et l’appel du grand vide qu’il m’inspire. Une vraie complainte de vieux con, en somme ! [Rires]
À La Cartonnerie (Reims) mercredi 10 mai, à L’autre Canal (Nancy) jeudi 11 mai, au Transbordeur (Villeurbanne) jeudi 25 mai et aux Docks (Lausanne) vendredi 26 mai
cartonnerie.fr – lautrecanalnancy.fr – transbordeur.fr – docks.ch