Voix d’Hébron, ou l’appel du désert

© Philippe Gisselbrecht – Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz

L’Opéra de Metz a présenté une ambitieuse création dans le cadre de sa saison 2023-2024. Commandée à l’Italien Christian Carrara, Voix d’Hébron est une très belle œuvre, humaniste et actuelle, servie par une musique passionnante et subtile.

Une scène immense et pour ainsi dire vide. Quatre personnages en tout et pour tout. L’orchestre de Metz en formation réduite. Une durée ramenée à une petite heure et quart. Voilà qui pourrait sembler bien minimaliste et peu engageant… Et pourtant ! Que de beauté dans ces Voix d’Hébron, cette création mondiale proposée dans le ravissant petit opéra de Metz. Las, le public messin n’a eu que deux occasions pour découvrir ce superbe spectacle. Les courageux qui s’étaient déplacés pour un spectacle a priori exigeant, l’intrigue étant plongée dans le contexte brûlant des tensions israélo-palestiniennes, ces téméraires étaient bien peu nombreux, mais ont applaudi à tout rompre une histoire d’amour universelle à la puissance cathartique.

L’histoire est assez simple : un vieil homme assiste aux derniers moments de son épouse. Il décide d’aller chercher deux connaissances, un jeune Palestinien archéologue et une jeune Israélienne agricultrice engagée dans l’armée dans le cadre de son service militaire pour l’aider à enterrer la défunte, dignement, là où elle le souhaite. Qu’on n’imagine surtout pas que les deux jeunes gens vont tomber amoureux en modernes Roméo et Juliette. Ruth et Mohammed, ces deux-là se détestent et leurs amours sont impossibles. Vraiment impossibles. Ils sont prêts à en découdre mais vont accepter la demande du Vieil homme en se chargeant de l’ensevelissement. Tout en s’affrontant. L’opéra raconte leur aventure humaine.

Comment cette œuvre écrite par deux auteurs italiens sur un sujet aussi délicat a-t-elle pu être commandée par l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz ? Tout simplement parce que le directeur de l’Opéra, Paul-Émile Fourny, avait rencontré le compositeur dans le festival italien de Jesi où il était invité à faire une mise en scène. Né en 1977 dans le Nord de l’Italie, à Pordenone, Christian Carrara a déjà composé u nombre impressionnant d’œuvres de toutes natures et connaît un beau succès à l’international. Entre autres compliments, la critique dit de lui que « sa musique est proche du cœur, elle est claire mais pas simple, elle est directe mais parle un langage plein de mystère » (Elena Formica). Paul-Émile Fourny s’est lui aussi laissé séduire par le travail du pléthorique créateur, profitant de la possibilité de pouvoir coproduire la création mondiale avec l’Opéra de Modène.

Voix d’Hébron (Christian Carrara) – Bande annonce

C’est donc Metz qui a profité des premières représentations de l’œuvre Voix d’Hébron en langue française début février 2024, Voci da Hebron étant programmé à Modène les 16 et 18 février 2024 en langue italienne. Sandro Capoletto, historien de la musique et écrivain, en a écrit le livret. Il explique avoir créé une fable, seul mode d’écriture possible en ces temps de massacres, quand bien même le mot « Hebron » puisse se traduire par « ami ». L’histoire d’amour dont il s’agit est celle du Vieil homme pour sa femme, Hannah, avec laquelle il a partagé toute sa vie. Mais l’amour est aussi celui de la terre pour cet étranger qui doit partir et tout laisser dans l’état où il l’a trouvé, dans le cadre d’un conflit qui ne semble pas pouvoir finir. Les jeunes Israélienne et Palestinien se découvrent et vont hériter de la terre du vieillard, à condition qu’ils s’en occupent ensemble. Mais pour en faire quoi ? Une tempête de sable fige l’action au terme d’un opéra court mais dense. La musique de Christian Carrara est avant tout mélodique et s’écoute avec grand plaisir dès la première approche. Très accessible, la partition est riche de recherches harmoniques passionnantes, faisant se côtoyer instruments classiques et plus inattendus, populaires ou orientaux. On pense parfois à Phil Glass, le plus souvent à des évocations courtes mais pertinentes de grands compositeurs, ce qui n’enlève rien à la personnalité foisonnante du compositeur. La ligne mélodique accompagne toutefois au plus près les quatre protagonistes et souligne leurs tourments, rêves et espérances. Le spectateur est d’emblée projeté dans ce conte pour adultes où les langages et intérêts différents se superposent magnifiquement.

La mise en scène de Paul-Émile Fourny accompagne avec pertinence le caractère universel de la partition comme du livret. Ce conflit pourrait se dérouler n’importe où, de l’Irlande du Nord à la frontière mexicaine, sans oublier le mur de Berlin. Les costumes, intemporels, sont cependant très familiers, car contemporains avant tout, sauf pour les vêtements du Vieil homme, plus spécifiquement orientaux. Partout sur scène, la sobriété règne au profit de la clarté du propos. Pas de réel checkpoint, mais de simples voiles transparents qui resserrent néanmoins l’action sur un huis-clos oppressant tout en laissant la place au rêve et à la liberté. Fragilité de la possession d’un territoire, impossibilité de la domination et de l’établissement de frontières réelles, fugacité du rêve et de la vie, le décor dégage une puissante force poétique et permet en même temps de mieux recadrer le propos. Si le décor s’inscrit dans une politique de recyclage d’éléments utilisés dans les productions passées, il évoque ici le lit d’un fleuve asséché qui n’attend qu’une chose, l’eau qui fera renaître la vie et le cours normal des choses.

© Philippe Gisselbrecht – Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz

Les quatre chanteurs ont dû affronter les deux versions, française et italienne, le casting étant le même dans les deux villes. Tous les quatre incarnent avec force et grand naturel leur personnage respectif. Sans doute est-ce Shakèd Bar qui se dégage de l’ensemble, fusionnant avec force et évidence avec son rôle de jeune Israélienne en colère et jusqu’au-boutiste. En délicat contrepoint, Maria Bagalà sublime Hannah, en fin de vie mais nourrie d’espoir et de mélancolie, en créature intensément aimée. Le haute-contre David Tricou possède une belle technique et affiche un charme réel qui magnifient le personnage de Mohammed. Pour équilibrer cette élégante distribution, le baryton Jean-Luc Ballestra incarne avec force et profondeur le Vieil homme. Le quatuor est efficacement secondé par l’Orchestre National de Metz, magistralement mené par Arthur Fagen.

Ce très bel opéra mériterait de s’installer durablement dans le Répertoire et permettre de se faire connaître par un enregistrement.


À l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz, les 2 et 4 février
opera.eurometropolemetz.eu

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