Violence symbolique

Le TNS accueille l’inauguration du festival Regards Croisés / Blickwechsel, co-organisé par Le Maillon et le Badisches Staatstheater de Karlsruhe. Ces cinquièmes journées franco-allemandes des auteurs, considérées comme une véritable plateforme des dramaturgies contemporaines, donnent lieu à des mises en espace de textes. Philippe Malone y présente L’Entretien [1. Philippe Malone, L’Entretien, éditions Espaces 34 (Montpellier), 2007]. Un dialogue à quatre voix : la cheffe d’entreprise qui s’exprime en droites, (la mère entre parenthèses), la fille en italiques et le cœur absent des salariées en gris. Extrait.

« Je pense que malheureusement, il faut leur dire : oui les problèmes sociaux, votre petit confort personnel, eh bien ! aujourd’hui, ça doit passer en second…[2. Serge Raffy (Nouvel Obs) à propos du vote “non” au référendum sur la Constitution européenne, i-télévision, 29 mars 2005]

On ne leur demande rien d’autre n’est-ce pas que de mettre de côté leurs petits tracas, LES PROBLÈMES QUOTIDIENS SONT TOUJOURS SI MESQUINS, il suffit parfois de tourner autour, juste pour changer l’angle de vue, parfois un simple pas de côté suffit, et ces problèmes, ceux-là même JE SUIS qui les empêchaient de vivre cessent alors d’exister, comme par magie, un véritable enchantement,JE SUIS elles seraient surprises de constater à quel point nombre de problèmes disparaissent simplement en changeant de point de vue, comme s’ils n’avaient jamais existé, un problème de vue précisément JE SUIS, un obstacle devant les yeux quand seul un petit mouvement de côté permet de les faire disparaître, comme par miracle vous croyez aux miracles ?

JE SUIS

(je suis fille de la révolution)

 

non je ne pense pas                  JE SUIS

JE SUIS

(sang rouge de la saignée bleue)

 

ça se voit sur votre visage

 

vous, vous ne croyez pas aux miracles

 

vous, vous croyez aux problèmes

 

(maintenant mère d’une fille qui butte sur l’avenir)

encore la même chose

(je sais) encore – (je m’excuse)

toujours à (m’excuser – pardon)

des légumes pas de viande

je n’ai pas faim (c’est un luxe)

ici tout est un luxe (ici personne n’a faim)

je veux être grosse (tu mens)

je veux être énorme (tu mens)

pleine à écœurer la règle

Oh tendre ma graisse aux nécessiteux

Leur vendre hors de prix mon surplus

(c’est ridicule)

JE VEUX ÊTRE UNE MÉTAPHORE

(fais moi plaisir)

je me demande pourquoi tu acceptes de vivre dans un tel taudis, je me demande à quoi servent tes combats, à quoi sert l’engagement si la tapisserie reste la même, je me demande pour qui chantent tes lendemains, je me demande à qui profitent mes jours, je me demande – je me demande pourquoi j’accepte de t’appeler mère, je me demande de quoi témoignera ma jeunesse JE SUIS PRESQUE VIEILLE COMMENT MISER SUR L’AVENIR quelle saveur consolera ma langue le papier est laid à quoi sert ta foi JE VEUX PLUS QUE SURVIVRE

(goûte s’il te plait)

je n’aime pas ça tu le sais c’est quoi ? (comme hier)

ça sert à ça se battre ? (je t’en prie)

 

des crocs – rien à mordre

des discours – rien à tordre

les tables sont lasses d’être rases

(tu n’as pas le droit je-) suis fille d’un siècle qui avorta le suivant, bâtarde d’une époque sans passion, fruit sec de l’édulcorant et de la chaîne de montage MES RÊVES ONT GOÛT DE RESSASSE

toujours le même repas

toujours la même sauce

les mêmes ingrédients

la même nuit

nulle aube sur mon visage

tes promesse un rideau de fer

ton poing dressé une potence

qu’ont changé tes combats

rien

ni le monde

ni ma vie

ni ta soupe

*

(comment te dire ma fille

comment t’avouer

les combats ne changent pas le goût de la soupe

ils changent celui de la langue) »

À Strasbourg, au TNS, jeudi 25 juin
03 88 24 88 00 – www.tns.fr

Regards croisés / Blickwechsel, au Badisches Staatstheater de Karlsruhe, du 26 au 28 juin
+49 721 933 333 – www.staatstheater.karlsruhe.de
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