Vertige de l’amour

Photo de Vincent Arbelet

Benoît Lambert monte Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux. Rencontre avec le metteur en scène et directeur du Théâtre Dijon Bourgogne autour d’une pièce qui n’est légère qu’en apparence.

«Ce qu’il y a de troublant dans Le Jeu de l’amour et du hasard, c’est qu’à proprement parler, il ne s’y passe rien ! », pointe d’emblée Benoît Lambert, un brin provocateur. « Résumons : un jeune homme vient en visite dans sa future belle-famille pour rencontrer sa promise… et à la fin, il l’épouse. C’est tout ». Destinée à Dorante, Silvia obtient de son père (Monsieur Orgon) l’autorisation d’observer son prétendant sous le masque de sa servante Lisette, qui endosse les vêtements de sa maîtresse. Ce que Silvia ignore, c’est que Dorante a eu la même idée : il se présente chez Monsieur Orgon dans l’habit de son valet Arlequin (jouant, lui, le rôle de son maître). Dans un jardin d’hiver aux airs de laboratoire – clin d’œil aux naturalistes du XVIIIe siècle – un jeu teinté de cruauté s’engage alors dans les conditions d’une expérience quasiment scientifique , sous le regard amusé d’Orgon et de son fils Mario. Le quatuor amoureux célèbre le marivaudage, « ce jeu de séduction qui, au-delà du badinage, est aussi l’expression de ce que l’amour provoque au plus profond de soi ».

Photo de Vincent Arbelet

Les deux couples sont pris à leur propre piège : en dépit des déguisements, « chacun se retrouve face à celui que la société lui destine », poursuit Benoît Lambert. Les bien nés se reconnaissent et les valets, qui rêvent un temps d’ascension sociale, « sont repunaisés à leur place. On peut voir dans tout cela une forme de pessimisme sociologique qui rappelle qu’il n’y a pas de hasard dans l’amour. L’issue de la pièce rassure les maîtres et déçoit les valets. On serait tenté d’ajouter : comme toujours. » Toutefois, Marivaux y fait preuve d’audace en suggérant – avant de l’écarter – une possible égalité sociale, ainsi que le refus de l’homogamie. Pour Benoît Lambert, « l’affirmation d’une égalité formelle qui s’accommode très bien d’une inégalité réelle » est intéressante car « elle est toujours d’actualité. C’est un trait caractéristique des démocraties bourgeoises ». Ainsi, « Monsieur Orgon préfigure-t-il le bourgeois éclairé, amoureux des Lumières et du Progrès, mais terriblement prudent face aux revendications égalitaires. Une figure qui, aujourd’hui encore, domine largement notre vie politique… » Fable en apparence charmante, Le Jeu de l’amour et du hasard est donc une pièce plus grinçante qu’il n’y paraît : subtilement, Marivaux y effleure des enjeux qui prendront leur pleine mesure un demi-siècle plus tard, lors de la Révolution française.


Au Théâtre Dijon Bourgogne, du 6 au 17 novembre
tdb-cdn.com

Au Théâtre (Lons-le-Saunier), du 20 au 22 novembre
scenesdujura.com

Au Granit (Belfort), du 27 au 29 novembre
magranit.org

Au Théâtre de Beaune, jeudi 10 janvier 2019
theatredebeaune.com

Au Théâtre Edwige Feuillère (Vesoul), mardi 19 et mercredi 20 mars 2019
theatre-edwige-feuillere.fr

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