Utopie franco-allemande
Résonances, les grandes ondes de l’utopie est une exposition accompagnée de réalité virtuelle, de workshops et d’un cycle de conférences autour de l’architecture française d’après-guerre dans la Sarre. Interview de Volker Ziegler, co-commissaire.
De quelles utopies de reconstruction architecturale témoignent les bâtiments présentés dans l’exposition ? Des équipes d’urbanistes français ont travaillé à Sarrebruck du temps du gouvernement français en Sarre. Elles ont produit des plans de ville novateurs. Sarrebruck est la réunion de trois petites villes au début du XXe siècle. La volonté après-guerre a été d’en faire la capitale régionale. D’où l’appel à Georges- Henri Pingusson, dont le chef-d’œuvre est l’hôtel Latitude 43 à Saint-Tropez, avec un plan fonctionnaliste s’inscrivant dans la droite lignée de la charte d’Athènes. Son plan établissait un nouveau centre-ville – par ailleurs détruit par la guerre –, proche de ceux du Havre de Perret mais aussi des idées du Corbusier. Il s’étalait sur plusieurs décennies, loin de l’urgence pragmatique de la population locale qui voulait de nouveaux logements et commerces rapidement. Dès que les instances régionales ont repris le pouvoir sur le Land, elles ont abandonné ce plan. Une autre utopie remarquable est celle de Sarrelouis, fortifiée par Vauban un peu comme Neuf-Brisach. Edouard Menkès a planché sur un plan inventant une nouvelle relation entre industries, activités et habitants. La maquette exposée n’eut, elle aussi, pas de suite. N’oublions pas que c’étaient des propositions urbanistiques de l’occupant. Si elles étaient utopistes, ces tentatives recelaient de bonnes idées, notamment à Sarrebruck avec la volonté d’équiper différents quartiers, de créer un centre digne d’une véritable capitale et d’ordonner des espaces verts et de circulation en retournant la ville sur sa rivière, la Sarre. Un espace qui fut nié puisqu’une autoroute la longe en passant en plein centre ! Au début des années 2000, la volonté de l’enfouir a pris de l’ampleur, preuve que Pingusson avait vu juste en voulant la faire contourner par l’extérieur soixante ans avant.
Quelles sont les différences esthétiques ou politiques entre architectes français et allemands à l’époque ?
Surtout politiques car certains architectes allemands ont flirté avec le nazisme. Côté français, les chantiers de la reconstruction après-guerre dépendaient d’un Ministère aux idées proches du mouvement moderne alors qu’en Allemagne, selon les villes et régions on penchait du côté des modernistes ou des traditionnalistes. Les chantiers mosellans ont été enrichissants au niveau des idées pour les architectes allemands et la Sarre permettait aux français beaucoup d’audace grâce à la seule tutelle du gouvernement militaire sur le territoire. Résonances fait écho à Interférences, expo du Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg en 2013 qui montre les relations complexes entre les deux pays. Mais entre 1945 et 1965 se construit ici une architecture européenne.
Vous faites aussi des focus sur des lieux phares…
Il y eut des réussites comme l’ancienne ambassade de France à Sarrebruck, le seul bâtiment réellement construit par Pingusson. Elle n’a fonctionné que six mois, entre 1954 et 1955 avant de devenir le ministère de la culture de Sarre. Les Sarrois n’aimaient pas son style un peu brutaliste, mais son magnifique jardin pourrait aujourd’hui être ouvert comme un parc de quartier. Le problème est que l’autoroute passe entre lui et la Sarre ! Il y a aussi le Centre émetteur d’Europe 1. Les radios privées devaient alors émettre depuis l’étranger, d’où son installation sur une colline surplombant la frontière, près de Sarre-Louis. Une halle de béton avec une immense façade vitrée en forme d’huître. Aujourd’hui devenu inutile, le bâtiment contient tous les câbles et autres transistors d’époques. Nous organisons des workshops et des concerts à l’intérieur pour stimuler la réflexion sur son avenir. Les églises de Sarre et de Moselle ont été massivement détruites : une quarantaine d’édifices remarquables, sans nef ni plan en forme de croix, souvent de forme circulaire avec le chœur au centre. Pingusson lui-même en a signé quatre.
Quelles sont les failles de ces utopies, leurs échecs ?
L’urgence était l’habitat. Des modèles d’habitat d’urgence ont émergés comme les préfabriqués métalliques de Prouvé. Ce sont aujourd’hui des pièces de collectionneurs. Ils n’ont pas été massivement utilisés. On est critiques sur les années 1950 avec le logement de masse, autant de quartiers aujourd’hui problématiques, déconstruits, recomposés. La production en série sans penser aux espaces entre les logements et en imaginant un milieu social stable était une erreur…
Avec K8, vous tentez de renouveler la médiation culturelle en innovant, loin des simples cimaises et vitrines…
Nous ne voulions pas d’une exposition classique et nous sommes questionnés sur la manière d’approcher le public d’aujourd’hui en multipliant les médiums. K8 a travaillé sur de la réalité virtuelle avec d’immenses touch pads, manipulables à plusieurs mais aussi avec écrans et tablettes.
Au Pingusson-Gebäude (Sarrebruck), du 29 septembre au 30 novembre
resonanzen.eu
deutscher-werkbund.de
saarland.de
k8.design
Workshop international consacré à l’histoire de la construction de toits suspendus en béton “Au-delà des limites, travailler avec des voûtes en berceau”, du 11 au 13 octobre à l’ancien Centre émetteur d’Europe 1 (Berus, près de Sarrelouis)