Une voix court dans la nuit: Antoine Volodine et le post-exotisme
Depuis 1985, un auteur dont on ne connaît ni le nom – Antoine Volodine est un pseudonyme – ni la biographie – il serait né en 1950 dans la région lyonnaise – poursuit une œuvre littéraire à plusieurs voix, réunies sous l’appellation “post-exotisme”.
En cette rentrée littéraire, les écrivains post-exotiques Manuela Draeger, Lutz Bassmann et Antoine Volodine (autoproclamé porte-parole du mouvement et, surtout, plume de ces trois hétéronymes) publient chacun un roman dans trois maisons d’édition différentes. La légende veut que Volodine ait inventé le post-exotisme, au début des années 1990, pour répondre par une boutade à un journaliste s’interrogeant sur la nature de ses livres. Ce qui fait l’essence de ce courant littéraire était quasiment entièrement présent dans le premier roman (publié) de l’auteur : Biographie comparée de Jorian Murgrave (1985).
Les écrivains post-exotiques appartiennent aux vaincus. Sans aucun espoir quant à l’avenir du monde et à leur propre fin (certains sont morts, évoluent ou nous parlent depuis le Bardo[1. Espace dans lequel, pour les bouddhistes tibétains, on erre après la mort avant de se réincarner], la prison où ils croupissent), ils n’ont pourtant pas renoncé à leurs idéaux. On est loin de l’image romantique de l’auteur standard. Marginaux, anciens dissidents armés aujourd’hui écroués, les voix et personnages qui s’expriment dans ces livres ont en commun le besoin de conjurer le désespoir en perpétuant leur vision du monde sur les cendres encore chaudes de sociétés post-révolutionnaires. Pour la plupart, ces écrivains n’écrivent pas mais racontent, scandent, répètent, imaginent des univers oniriques. « Dans un monde où la multiplication du verbe est le terreau sur quoi prospèrent les acteurs du malheur, sur cette ignoble scène de théâtre où le foisonnement des débats contradictoires est un écran cynique derrière quoi les maîtres conservent les mains libres, le verbe n’a ni influence ni force » explique Linda Woo dans Écrivains. Pas de renoncement possible. Raconter ses histoires – aux morts, à ses proches, au lecteur ou à soi-même – est pour chacun d’entre eux le moyen de survivre un temps avant que tout disparaisse, ultime preuve d’amour face aux brûlures de l’histoire.
Catalogué auteur de science-fiction (parce qu’il était publié chez Présence du futur) jusqu’à son émancipation post-exotique, Antoine Volodine n’a de cesse de réinventer son écriture et ses processus narratifs, notamment les contraintes formelles qu’il nomme narrats, romånces, féeries ou encore haïkus (lire les incroyables Haïkus de prison de Lutz Bassmann), chapitres en miroirs contenant le même nombre de lettres ou de mots… Utilisant la répétition à la manière des chamanes, sa poésie rythmique est entièrement au service de la création d’images oniriques, de rêves éveillés au milieu de l’obscurité du réel. Face aux douleurs subies, un certain humour du désastre jalonne les récits (la parodie du chapître Remerciements dans Écrivains est à mourir de rire). Une sorte de dérision tragique, de soubresaut face destin, d’inattendu malgré l’absence d’espoir d’une fin heureuse. Avant que tout ne recommence.
À lire : Écrivains d’Antoine Volodine, Seuil (17,50 €)
Les Aigles puent de Lutz Bassmann, Verdier (16 €)
Onze rêves de suie de Manuela Draeger, L’Olivier (18 €)