Une Vie de chien
Librement inspiré du roman Cœur de chien de Boulgakov, La Passion selon Bouboul de Magali Mougel en conserve l’étrangeté, entre farce et horreur. Le metteur en scène Christophe Greilsammer scrute “l’Homme Nouveau” et les dangers d’une idéologie dévoyée.
Un professeur de médecine transplante une hypophyse humaine à un chien qui… se transforme en homme, créature échappant à son créateur. On pense bien sûr au Frankenstein de Mary Shelley même si le texte de 1924 de Boulgakov est avant tout politique. « Il a dû batailler toute sa vie pour pouvoir faire son travail d’auteur. S’il n’est pas allé au goulag, ses livres ont été censurés. Boulgakov interroge les possibilités de la révolution, mais aussi ses conséquences, qui virent à l’horreur quand les choses dérapent », raconte Christophe Greilsammer, évoquant son « écrivain de chevet ». De cette matière glaçante, oscillant vers la farce dans la tradition du grand guignol, Magali Mougel a imaginé une forme surprenante : celle de la Passion, avec les quatorze stations rappelant celles du Christ. « C’est l’histoire d’un corps, de sa transformation, du travail qui s’accomplit entre un corps et un esprit, ici l’esprit dévoyé de la révolution : le stalinisme », explique le metteur en scène. L’auteure trentenaire résidant à Strasbourg en a fait une histoire d’aujourd’hui, loin du Moscou des années 1920, portée par une question : de quelle façon peut-on mener la révolution à présent, passer à quelque chose de différent ? « Les tensions et les conflits actuels, la crise sociale et les inégalités font écho à la situation de l’URSS sous Boulgakov : ne sommes-nous pas aussi à deux doigts de penser, comme le médecin de l’histoire, qu’il faut changer l’homme pour accomplir cette révolution ? »
Tout comme Cœur de chien, La Passion selon Bouboul n’apporte aucune réponse, aucune solution. Reste au spectateur à faire cheminer sa propre réflexion. Pour Christophe Greilsammer, « le pouvoir omniprésent, comme une machine déréglée, finit par produire un Homme nouveau qui n’a plus rien d’humain. Face à cette menace il n’y a pas de solution pré-écrite : seule l’activation permanente de notre imagination à construire le vivre ensemble peut ouvrir les chemins de la résistance. » Dans ce théâtre musical, le chœur tient un rôle prépondérant, tour à tour brechtien, bolchevique ou grec, pour donner la réplique au comédien, incarnant le chien devenu homme. Composée par Gualtiero Dazzi, la partition alterne textures électroniques et séquences de parlé-chanté, sur un livret écrit en vers incisifs.
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