Une saga belge
Entre l’Expo 1958 et la fin annoncée des empires coloniaux, Warnauts & Raives livrent une passionnante réflexion en BD sur l’histoire belge.
Les Jours heureux est un nouveau diptyque signé Eric Warnauts et Guy Servais (plus connu sous le pseudonyme de Raives). Il fait suite aux Temps nouveaux et à Après Guerre décrivant la destinée de Thomas Deschamps (ainsi que de sa famille issue de l’Ardenne belge et de ses proches). Après les années terribles de la Seconde Guerre mondiale et la période trouble de la reconstruction, nous voilà à l’aube des sixties, en 1958, très précisément alors que s’ouvre l’Exposition universelle où l’Atomium brille de tous ses feux. Pour Raives, l’objectif de l’événement « était de susciter un élan de fraternité et d’émulation entre les peuples », rajoutant : « Elle préfigurait aussi une longue période de prospérité, d’insouciance, d’épanouissements socioculturels. C’était l’amorce de ce qu’on appellera les Trente Glorieuse ». Mais derrière cette façade, la réalité est plus trouble et l’avenir s’annonce moins radieux que prévu : dans cet album, Thomas rentre du Congo – alors belge – pour enterrer celle qui l’avait élevé, mais ne reconnaît pas son village qui a bien changé. En arrière-plan de cet opus, on découvre le vacillement des empires coloniaux, de Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa) à Alger (la fille de notre héros est porteuse de valises pour le FLN), le lecteur comprenant vite que les jours ne sont heureux qu’en apparence… mais point besoin ici de dévoiler l’intrigue foisonnante d’un album (accompagné d’une éclairante chronologie) qui est aussi – et surtout – une réflexion pleine de finesse et d’intelligence sur l’histoire du Royaume où les différents protagonistes tentent de trouver leur voie. Aux manettes le duo Warnauts / Raives (à qui l’on doit une trentaine d’albums) fait merveille. On connaît leur surprenant modus operandi, unique dans l’univers de la BD : ils élaborent ensemble le récit, Éric le rédige, puis ils dessinent les planches à quatre mains et Guy les met en couleurs. Le résultat, tout en humanité et en finesse, est bluffant…