Un Héros français ?
Polar contemporain suspendu et déboussolé, Quatorze Juillet est la nouvelle merveille signée Bastien Vivès. À lire de toute urgence.
Plus de 250 pages en noir et blanc pour un roman graphique qui a la semblance d’un thriller atmosphérique. Pour sa première incursion dans le monde de la BD, le scénariste Martin Quenehen – que les auditeurs de France Culture connaissent bien – réussit l’exploit de tenir le lecteur en haleine, sur le fil d’un récit mêlant les ingrédients classiques du polar noir et la description d’une France post-attentats en complète perte de repères. Nous sommes à Roissan-en-Isère, bourgade ruralo-montagnarde imaginaire de la France dite périphérique et Jimmy Girard, un jeune gendarme, croise la route de Vincent Louyot, venu s’y installer avec sa fille, traumatisé par la disparition de son épouse dans un attentat. Il se prend de sympathie pour eux, décide de les prendre sous son aile, de les protéger. La couverture du livre évoque ce soutien, faisant clairement référence à l’imagerie chrétienne, puisqu’elle rappelle la vision de Saint Christophe portant l’enfant Jésus ou, plus certainement encore, celle du Bon pasteur, Jésus ramenant sur ses épaules la brebis égarée. Voilà jolie allégorie illustrant les questionnements essentiels irriguant les pages de l’album : peut-on sauver les êtres malgré eux ? Est-ce juste de se mettre dans la peau d’un justicier ? Jusqu’où peut-on aller pour rendre ce qu’on estime être la justice ? Peut-on passer la ligne jaune ? Au fil des pages, le lecteur est accompagné de personnages complexes et troubles : un policier ambitieux (qui est « Bruce Willis dans un film d’Éric Rohmer », résume Martin Quenehen), un peintre en deuil azimuté et sa fille qui n’aspire qu’à croquer la vie a pleines dents. Il se meuvent dans une France paranoïaque et divisée, entre menace islamiste et douleur sociale, rendue par le talent intense de Bastien Vivès qui en avait visiblement marre du récit intimiste (on avait adoré Le Chemisier). La maîtrise de l’auteur de Polina et de Lastman – saga manga french touch – éclate dans des planches où une déclinaison de gris se frotte au noir intense : s’y retrouvent sa patte épurée, des personnages aux visages réduits à leurs traits fondamentaux, presque des esquisses, et un découpage cinématographique d’une efficacité redoutable qui font de cet opus un incontournable !