Un faust fiévreux
Directeur général de la musique du Saarländisches Staatstheater, Sébastien Rouland s’empare du Faust de Gounod. Entretien avec le chef français autour d’un « monument du patrimoine ».
Présenter Faust est un beau résumé de votre credo1 visant à jeter des ponts entre France et Allemagne… Nous sommes en effet au coeur de ce que je désire, d’autant que notre Théâtre dont le volume rappelle celui de l’Opéra comique, est parfait pour ce type de répertoire. La saison prochaine, nous proposerons ainsi de nouvelles productions des Pêcheurs de Perles de Bizet et de Don Carlos de Verdi dans sa version française originelle.
Qu’est-ce qui vous séduit dans cet opéra de Gounod ?
Contrairement à ce qu’on ressasse, son livret et le traitement de l’histoire sont loin d’être datés. Pour moi, c’est un opéra féministe. Ce n’est pas pour rien que son titre allemand est souvent traduit en Margarethe !
Tous les protagonistes masculins sont-ils des sales types ?
Valentin est un monstre. On peut même se demander s’il n’a pas un rapport incestueux avec sa soeur qu’il considère comme sa propriété. Ce qui l’ennuie n’est pas qu’elle ait été abusée par Faust mais que sa réputation en soit entachée. Quant à Faust, il est une parfaite incarnation du narcissisme et de la lâcheté d’un homme qui ne peut admettre sa propre finitude.
Finalement, Méphisto est l’homme le plus sympathique…
Peut-être parce que ce n’est est pas un homme [rires]. Dans son rôle de Diable, il ne fait que jouir du spectacle, apparaissant parfois décalé, cynique, voire… sympathique, en tout cas loin de l’imagerie démoniaque bigote de l’époque.
Et Marguerite, dans tout cela ?
Elle est un être simple, sensible et intègre, une enfant qui n’a pas une once de méchanceté et ne comprend pas le déchaînement de violence s’abattant sur elle.
Comment décrire la musique de Gounod ?
Dans cette partition sont perceptibles une grande rigueur académique mêlée à une incroyable maîtrise formelle sur le plan mélodique et une richesse d’invention harmonique. Quand je pense que certains lui ont fait un procès en simplisme ! Ce Faust illustre bien le problème de la musique française du XIXe siècle, prise en étau entre le lyrisme italien et l’intellectualisme mystique germanique. Des compositeurs comme Adam2, Meyerbeer, Halévy, Auber ou Charpentier ont été sacrifiés. Je me fais un point d’honneur à jouer leurs oeuvres.
Commet allez-vous diriger cette partition ?
Il est impératif d’oser faire dans ce répertoire, ce qui est la tradition dans les opéras italiens, du rubato3. Cela permet de rendre justice à une musique en tension permanente qui emporte interprètes et spectateurs dans un tourbillon romantique fiévreux.
Au Saarländisches Staatstheater (Sarrebruck), du 31 mai au 30 juin
1 Voir Poly n°215
2 Sébastien Rouland vient de diriger avec un immense succès son Postillon de Lonjumeau à l’Opéra Comique opera-comique.com
3 Manière de diriger où la rigueur de la mesure est respectée pour le rythme de la basse, tandis que les notes du chant sont ralenties ou accélérées