Un collectionneur né

André Evard, Symphonia 4, 1924 © Sammlung Messmer

La kunsthalle messmer fête ses dix ans par une grande exposition autour d’André Evard. Entretien avec son fondateur Jürgen A. Messmer.

Quelle a été votre première rencontre avec l’art ?

Ce n’était pas dans la maison familiale comme Frieder Burda. Au cours de mes études à Munich, dans les années 1960 / 70, je suis allé très souvent à la Pinacothèque. Je me souviens d’un immense tableau de Dalí qui m’a fasciné.

Quelles furent vos autres révélations ?

J’ai découvert le Cavalier bleu. À la fin de mes études, j’ai acheté une estampe de Cézanne. La première. Je n’arrive pas m’en séparer, même si elle n’a pas grande valeur. Et dans les années 1970, je me suis mis à apprécier Vasarely. Relativement tôt. J’ai commencé à acheter des oeuvres, gagnant bien ma vie, et des marchands m’ont proposé les premiers Dix, Braque et un beau Klee, je n’avais pas encore de Picasso. Ils étaient relativement bon marché à l’époque.

Quand s’est déroulée votre rencontre avec l’art d’André Evard (1876-1972) qui vous a tant marqué ?

En 1978 ou 1979. J’avais fait la connaissance du collectionneur Henry Drake aux États- Unis. Il avait un chalet en Suisse où je lui ai rendu visite. Après, il m’a emmené à Lausanne où des tableaux d’Evard étaient accrochés en grand nombre chez un marchand d’art asiatique. Ils m’ont fasciné. Lorsque je les regarde aujourd’hui, c’est toujours le cas. Ce qu’il a accomplit est incroyable. J’ai donc demandé à Drake pourquoi il ne les achetait pas. Il m’a répondu qu’il était trop vieux, qu’il fallait faire pas mal de choses avec ces oeuvres. Je lui ai dit que je pouvais imaginer dépenser 20 000 à 25 000 francs suisses. Le propriétaire de l’époque avait acheté toute la succession et me disait qu’il y avait un autre acheteur potentiel que je suis allé voir, car j’étais seulement intéressé par les oeuvres constructivistes, mais il voulait tout ou rien. C’est à dire 700 oeuvres représentant une somme considérable. Au fond c’était de la dinguerie ! Je suis allé à la banque, je leur ai vendu que c’était une bonne affaire et ils m’ont cru [rires]. Deux semaines plus tard, j’avais le crédit.

Très tôt, André Evard a été remarqué…

Son professeur à l’École d’Art de La Chauxde- Fonds, Charles L’Eplattenier, lui disait : « Tu vas être le bijoutier de la peinture ». Tout comme il disait au Corbusier, un des condisciples d’Evard : « Tu vas être le maitre d’oeuvre. » En 1923, il est allé à Paris où il a fait la connaissance de Georges Braque, Robert Delaunay et Theo van Doesburg, sûrement aussi de Picasso. Il y est resté jusqu’en 1933. Il a même participé au Salon du Printemps et au Salon des Indépendants. J’ai une lettre originale où Octave Mattei a écrit concernant les Roses : « Maintenant tu as réussi la grande percée, il ne te manque plus qu’un bon galeriste »… qu’il n’a jamais eu !

Vous avez organisé énormément d’expositions depuis l’ouverture de la kunsthalle messmer il y a dix ans…

Oui, nous avons fait plus de 30 expositions. J’en ai commissionné la plupart moi-même. Par mes voyages, j’ai visité tellement de musées qu’à un moment on développe une sensibilité pour l’organisation. Je veux surtout faire des expositions pour le public, et non pour les historiens de l’art.

Quel est l’objectif du Prix International André Evard dont la cinquième édition a été organisée en 2018 ?

C’était l’idée d’un artiste que j’ai connu il y a 15 ans. Il aimait beaucoup Evard aussi. Il me disait : « Pourquoi ne fais-tu pas quelque chose pour la scène constructiviste ? » Car il n’y avait rien. Ce sont les “pauvres” du milieu artistique. Certains peuvent en vivre, mais pas la grande majorité. Donc nous avons organisé ce prix doté de 10 000 euros.

Pour fêter les 10 ans de l’institution, vous organisez l’exposition Une vie consacrée à l’art : quelle est sa thématique ?

André Evard sera central, mais nous nous sommes aussi intéressés à ses influences, que ce soit Renoir – qu’il collectionnait tout comme les statues africaines dont certaines seront aussi montrées – ou les artistes du Groupe Allianz dont il faisait partie avec Max Bill, Paul Klee, Hans Arp ou Le Corbusier. Je souhaite également montrer qu’il était en avance sur son temps. En somme, proposer un puzzle esthétique, ne pas dicter au visiteur une image d’André Evard, mais laisser chacun s’en faire sa propre image.

Portrait de Jürgen A. Messmer par
Claudia Thoma

Si vous étiez…

Un peintre. Mondrian

Un tableau. Un portrait de femme de Modigliani

Une oeuvre musicale. Porgy and Bess de Gershwin

Un film. Giant de George Stevens avec Liz Taylor et James Dean

Un bâtiment. L’Empire State Building

Une ville. Hong-Kong

Un vin. En ce moment un Primitivo italien

Un écrivain. Arthur Miller


À la kunsthalle messmer (Riegel am Kaiserstuhl), du 20 juin au 15 septembre

kunsthallemessmer.de

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