Avec Détournements, la Fondation François Schneider expose ses Talents contemporains, sept artistes internationaux réunis autour de l’eau.
Dos courbé, une serpillère plongée dans l’eau qui lui arrive au genou et mouille le bas de sa robe sombre, une femme s’échine à éponger la mer qui l’entoure. Seule avec son chiffon et son seau au milieu de ce grand tableau tissé au point de Gobelin (Mopping), la néerlandaise Jenny Ymker se met en scène – comme dans chacune de ses ubuesques et bucoliques tapisseries où elle promène par monts, forêts et eaux sa solitude face au monde devenu absurde. Ainsi s’ouvre Détournements, l’exposition de la Fondation François Schneider consacrée aux sept lauréats du concours Talents contemporains qui récompense, chaque année, des plasticiens du monde entier travaillant sur le thème de l’eau. Divagation autour de la peinture de paysage, invention de nouveaux mondes, dénonciation de la surexploitation des ressources, du fourvoiement des espaces naturels et urbains, ironiques ou poétiques détournements d’objets aquatiques… Chacune des œuvres présentées révèle au visiteur un point de vue singulier sur la manière de vivre notre rapport à l’élément liquide.
En 2018, la sud-coréenne Sujin Lim retourne ainsi sur l’île Yeongheung, où les montagnes et les plages de son enfance ont été défigurées par les usines et colonisées par les pylônes électriques. À mi-chemin entre art pictural et performance vidéo, son hypnotique Landscape Painting la voit poser en plein air son chevalet (un peu partout sur l’île). Elle peint ce paysage passé, et aujourd’hui fantasmé, sur des toiles à la semblance de pansements appliqués sur les blessures que notre inhumaine modernité inflige à la Nature. Paquebots gonflables échoués, grosses bouées et piaulements de mouettes diffusés à grand renfort de haut-parleurs peuplent dans un tout autre registre les artificielles plages urbaines photographiées par Céline Dais aux quatre coins de la France (Voir la mer). Il y a du Martin Parr dans cette délicate immixtion au cœur de l’insouciance estivale des classes populaires – l’ironie grinçante en moins ! Depuis le quasi ready-made de la tunisienne Nadia Kaabi-Linke (Salt & Sand) à l’édifiant film de docu-fiction de Francisco Rodríguez Teare sur le travail forcé de pêcheurs chinois au large des côtes chiliennes (Una Luna de hierro, Une Lune de fer), en passant par les tuyaux de salle de bain métamorphosés en fontaines d’Arthur Hoffner (Monologues et Conversation), le visiteur oscille sans cesse entre trivial et douloureux, incongru et sérieux. Point d’orgue de cette circumnavigation en eaux troubles : le magnético-psychédélique Mashup de Thomas Teurlai, qui téléporte le spectateur hagard dans une ambiance de club berlinois désaffecté. Là, une platine vinyle noyée dans une cabine de douche joue un air méconnaissable de Maxime Le Forestier, dont la voix aurait déraillé sous les éclats acérés des stroboscopes. Épileptiques s’abstenir !
À la Fondation François Schneider (Wattwiller) jusqu’au 27 mars
fondationfrancoisschneider.org