Tout un monde poétique
La violoncelliste Anne Gastinel dans le Concerto de Dutilleux : voilà ce qu’on peut appeler une alliance parfaite. À découvrir avec l’Orchestre philharmonique de Strasbourg et la baguette ductile et efficace d’Oleg Caetani.
Quarante ans et quelque, un titre officieux de chef de file de l’école française de violoncelle et trois Victoires de la Musique au compteur (1994 dans la catégorie Nouveau talent, 1996, Meilleur enregistrement et 2006, Soliste de l’année) : Anne Gastinel est devenue une figure tutélaire de la scène classique. Élève des plus grands (Yo-Yo Ma, János Starker ou Paul Tortelier), elle est aujourd’hui un modèle. Son jeu tout en naturel – sans effets d’archet inutiles – va directement au cœur de la partition, incisant la chair de la musique avec élégance, légèreté et subtilité. Elle le montrera dans Tout un monde lointain, concerto pour violoncelle et orchestre signé Henri Dutilleux (1916-2013), habile construction fondée sur le rapport entre Les Fleurs du mal de Baudelaire et la musique. Ce classique du répertoire contemporain, composé pour Rostropovitch, réussit un étonnant équilibre. Selon les mots de son auteur, il consiste « sans sacrifier à la pure virtuosité à mettre en valeur l’instrument tout en s’éloignant des schémas classiques et romantiques ». En cinq parties (Énigme, Regard, Houles, Miroirs et Hymne), la virtuose nous plongera dans un univers tout sauf illustratif : point ici de plates descriptions des atmosphères baudelairiennes, mais une immersion toute en vibrations dans l’univers du poète. Le violoncelle, instrument lyrique par excellence, transporte l’auditeur, parfois dans un souffle, parfois dans une exubérance de potentialités sonores en plein cœur du texte.
Le programme s’achèvera – toujours dans des sonorités délicates, très french touch – avec la Symphonie n°3 “avec orgue” de Saint-Saëns (1835-1921), un voyage spirituel dédié à Liszt où la gravité de l’instrument renvoie au trouble profond que nous ressentons à l’écoute d’une œuvre d’un extraordinaire équilibre. On pense alors aux mots d’Émile Vuillermoz, qui, dans son Histoire de la musique, qualifiait ainsi l’art du symphoniste : « Même quand il n’est pas ému lui-même, Saint-Saëns arrive à provoquer chez ses auditeurs une émotion de l’esprit qui naît de la grandeur et de la noblesse des lignes et des volumes de ses architectures. »
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