Time is music
Ravel, Ligeti et Chostakovitch : pour ce programme, Marko Letonja, directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, a choisi trois partitions qui ressemblent à autant de variations sur le temps.
Pour composer une soirée, Marko Letonja aime sélectionner des œuvres qui, par-delà les âges, les écoles et les styles, entretiennent des parentés secrètes, entrant subtilement en résonance les unes avec les autres. Il a ainsi souhaité nous livrer une réflexion sur le temps et son écoulement. Tout débute avec La Valse que Maurice Ravel acheva au printemps 1920. En guise d’incipit, le compositeur fait figurer ces mots sur une partition qu’il avait d’abord envisagé de nommer Wien : « Des nuées tourbillonnantes laissent entrevoir par éclaircies des couples de valseurs. Elles se dissipent peu à peu ; on distingue une immense salle peuplée d’une foule tournoyante. La scène s’éclaire progressivement. La lumière des lustres éclate au plafond. Une cour impériale vers 1855. » Le fracas de la Première Guerre mondiale est encore perceptible, le monde d’avant s’est écroulé et le créateur du célébrissime Boléro imagine une page pleine de nostalgie sur les scintillements de l’Empire austro-hongrois à jamais éteints. D’où une atmosphère sonore particulière, puisqu’en « écoutant l’œuvre, on pense aux visages déconstruits, peints par Picasso ou Braque, comme si les valses viennoises avaient été tordues dans une vision éminemment cubiste », explique Marko Letonja.
C’est le même type de rapport au temps qui se dégage de la Symphonie n°7 “Leningrad” de Dmitri Chostakovitch, écrite en pleine guerre, en décembre 1941. Derrière l’exaltation de la résistance du peuple soviétique face aux hordes germaniques, pointe le regret d’une avant-guerre paisible, mais, « comme toujours chez Chostakovitch, il est essentiel de lire entre les lignes de la portée, puisqu’il s’agit autant d’un réquisitoire contre les nazis que d’un cri de révolte contre les purges staliniennes, les deux tragédies se confondant dans cette musique. Si le compositeur se dresse manifestement contre l’envahisseur allemand, son cri patriotique est aussi adressé au peuple russe pour lui montrer les ravages du stalinisme. » Entre ces deux pages explorant l’écoulement du temps, est installée une étonnant respiration avec Atmosphères, pièce de 1961 signée György Ligeti (qui fut utilisée par Stanley Kubrick dans 2001 : L’Odyssée de l’espace). Les secondes semblent ne pas passer, comme éternellement figées dans une envoûtante musique statique, lentement et délicatement modelée dans d’imperceptibles et fines métamorphoses.
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