Tableaux hantés

Otto Dix, Piétà, 1913, Collection particulière © Kunstsammlungen Chemnitz - Museum Gunzenhauser © Adagp, Paris 2016

En une centaine d’œuvres, le Musée Unterlinden montre l’influence obsédante exercée par son chef-d’œuvre, le Retable d’Issenheim, sur les peintures d’Otto Dix (1891-1969).

 Icône de l’Art allemand après l’annexion de l’Alsace en 1871, le Retable d’Issenheim inspira toute une génération de peintres au début de XXe siècle qui y virent l’archétype pré-expressionniste de la souffrance humaine. Beckmann ou Nolde considérèrent ainsi le polyptique de Grünewald comme un des points de départ possibles de leur création. Otto Dix l’a-t-il vu lorsqu’il était exposé à Munich entre 1917 et 1919 pour l’éloigner des zones de combat ? On l’ignore. Il est néanmoins certain que son image est demeurée gravée dans la rétine du peintre et que son ombre plane sur des œuvres hantées par le chaos boueux des tranchées où des taches de sang blafardes se détachent sur la glaise glauque : les références y abondent dans son triptyque de La Guerre (malheureusement resté à Dresde) ou dans Flandres (1934-1936) qui en reprend des éléments iconographiques.

Jugé dégénéré et contraint à un “exil intérieur” par les nazis, Otto Dix ne peint plus que des paysages et des sujets religieux comme L’Annonce aux bergers (1942) dont la gamme chromatique rappelle celle du Retable tout comme les complexions pleines d’effroi des différents protagonistes. À plus de 50 ans, il est mobilisé dans le Volkssturm à la fin de la guerre et se retrouve prisonnier à… Colmar où il se confronte à l’œuvre de Grünewald, peignant notamment La Madone aux barbelés (1945) pour la chapelle catholique du camp. Il s’agit d’un bouleversant triptyque où pointe également la place occupée par La Vierge au buisson de roses de Schongauer dans son panthéon personnel. Exit les épines, il la transpose dans un univers de barbelés. Après la Guerre et jusqu’à la fin de sa vie, le Retable ne cessera de représenter l’archétype de la douleur pour lui. On en trouve trace dans de multiples compositions comme ses Annonciations (1950) ou dans Job : il est possible de reconnaître dans le personnage de la toile de 1946 l’homme au ventre gonflé rempli de pustules purulentes se trouvant dans le coin inférieur gauche de la Tentation de Saint-Antoine. « Symbole de l’Humanité dévastée, icône de la souffrance universelle et de la foi inébranlable dans le rétablissement de la justice, [Job] permet à toute une génération traumatisée de s’identifier », explique la commissaire de l’exposition, Frédérique Goerig-Hergott.

Au Musée Unterlinden (Colmar), jusqu’au 30 janvier

www.musee-unterlinden.com

 > Plongée dans les Années folles pour le finissage de l’exposition avec la soirée festive Dance floor Shimmy (28/01, 20h)

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