Sur la route
L’Orchestre philharmonique de Strasbourg et Le Maillon présentent le Winterreise de Zender passé à la moulinette de Kornél Mundruczó qui crée un ciné-concert théâtral en forme de réflexion sur les migrants.
Le compositeur Hans Zender (né en 1936) aime dialoguer avec ses prédécesseurs, utilisant avec jubilation le substrat de pièces du passé (signées Haydn, Debussy, etc.) pour ce qu’il nomme des « transformations créatrices ». Fascinante, celle réalisée en 1993 du Winterreise de Schubert – page pour piano et voix aux atmosphères glacées et solitaires où évoluent d’angoissantes ombres – consiste en une adaptation pour un orchestre atypique (avec accordéon, saxophone, machine à vent, guitare, etc.). « Ma propre lecture du Voyage d’hiver ne cherche pas une nouvelle interprétation expressive, mais profite des libertés que chaque interprète s’attribue normalement de façon intuitive : ralentissement ou accélération du tempo, transposition dans d’autres tons, mise en valeur et nuancement des couleurs. À cela s’ajoutent les possibilités de “lectures” : sauts à l’intérieur du texte, lignes répétées plusieurs fois, continuité interrompue, comparaison de lectures différentes d’un même passage », résume-t-il.
S’emparant de cette partition, le metteur en scène hongrois Kornél Mundruczó1 métamorphose la figure du Wanderer2 schubertien : pour lui, il incarne le migrant du XXIe siècle. Chanté par János Szemenyei – dont l’accent bien peu germanique renforce le sentiment d’altérité –, l’oeuvre est une réflexion sur l’errance. Un homme en caleçon regarde la salle. Derrière lui, l’image d’un frigo désespérément vide. On va le suivre dans sa chambre sordide, les mots du poète Wilhelm Müller entrant en résonance avec les vidéos défilant sur l’écran, filmées dans un camp hongrois de réfugiés, en 2014 : visages saisis dans leur détresse, murs lépreux d’abris de fortune où gambadent des cafards, etc. Le voyage d’un amoureux désespéré devient alors la circumnavigation d’une intense tristesse des migrants sur le continent européen.
1 Voir nos précédents articles dans Poly n°143, 167 et 208 ou sur poly.fr
2 Terme allemand difficilement traduisible désignant un vagabond errant, un homme des forêts
Au Maillon-Wacken (Strasbourg), jeudi 17 et vendredi 18 janvier
Conférence “Figures et réalité d’exil, d’hier et d’aujourd’hui” au Centre Emmanuel Mounier (14/01, 20h30)
Bord de plateau avec János Szemenyei et le chef Thierry Fischer à l’issue du spectacle (17/01)