Spirou in love
Imaginé par Christian Durieux, Pacific Palace est un album très réussi, où le talentueux auteur donne sa vision de Spirou. Entre romance amoureuse et fable politique.
Saga multiforme (et inégale), Le Spirou de… consiste à confier, le temps d’un album, le célèbre héros à différents auteurs. Parmi les réussites de la série, mentionnons des opus devenus cultes, à l’image du Groom vert-de-gris (Schwartz & Yann) ou du Journal d’un ingénu (Émile Bravo). Depuis peu, il est possible d’y ajouter le remarquable Pacific Palace de Christian Durieux, auteur ultra-talentueux des Gens honnêtes (avec Gibrat au scénario) ou de Geisha, ou le jeu du shamisen. Il livre une vision très personnelle du personnage créé par Rob-Vel, le renvoyant à son métier premier, celui de groom, qu’il occupe dans un hôtel de (très) grand luxe posé sur les bords d’un lac des Alpes. Licencié du Moustique, son acolyte Fantasio (gaffeur à souhait as usual) occupe la même fonction. Amusant dédoublement que de voir les deux personnages en costume rouge à boutons dorés, coiffés d’un identique calot caractéristique ! Vidé de tous ses occupants, le palace est réservé à un despote en fuite et sa suite, protégé par la France qui y voit ses intérêts économiques. Débarque donc Iliex Korda, dictateur déchu du Karajan, petit pays des Balkans, improbable croisement entre Nicolae Ceaușescu et Slobodan Milošević. Il est accompagné de ses gorilles, de sa femme, son double mutique, et de sa fille, Elena, aux yeux verts et à la beauté radieuse quoique glaciale. Cette dernière déteste son père… et ne se prive pas de le faire savoir. Spirou en tombe derechef amoureux… Love story mélancolique et raffinée, cette histoire est également un huis clos politique à l’intrigue complexe, joliment mené et nimbé d’un puissant onirisme. On y croise des personnages ambigus comme M. Paul et des figures familières, telle Seccotine désormais journaliste pour une chaîne d’informations. Avec cette plongée dans une atmosphère hors du temps rappelant les palaces d’antan (comme celui de The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson), le lecteur se délecte de planches délicates parmi lesquelles certaines se déroulant à la piscine sont de pures merveilles. Rajoutons que Pacific Palace est le cadre d’une collaboration avec Mark Daumail et le groupe Cocoon : Blue Night et Sweet Lena sont deux titres planants – regroupés dans un EP – évoquant l’atmosphère du livre.
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