SOS Fantômes
Non contente d’accueillir un Centre d’Art contemporain pointu (La Synagogue), la petite ville de Delme inaugurait fin septembre une commande publique confiée aux artistes Christophe Berdaguer et Marie Péjus : une Gue(ho)st House tout droit sortie d’un cartoon ou d’un film de Tim Burton.
Située à 35 km de Metz et de Nancy, la commune mosellane de Delme s’étale tout en longueur, coupée en deux par une départementale sinueuse. Depuis 1993, un Centre d’Art contemporain est installé dans l’ancienne Synagogue du village, datant du XIXe siècle. Des productions d’artistes aussi importants que Daniel Buren, François Morellet ou encore Gianni Motti et Erick Beltrán[1. Voir la carte blanche réalisée par l’artiste mexicain dans Poly n°151 ou sur www.poly.fr] s’y sont succédées. En 2005, germait l’idée de rénover une veille bâtisse située à l’arrière du Centre d’Art par le biais d’une commande publique[2. Dispositif de l’État visant à accompagner des partenaires multiples (collectivités territoriales, établissements publics…) dans l’enrichissement du patrimoine national et du cadre de vie, par la présence d’œuvres d’art en dehors des seules institutions spécialisées]. Après un premier projet avorté, Marie Cozette, la directrice, proposait à Christophe Berdaguer et Marie Péjus, deux artistes ayant participé à l’exposition Unheimlich (en 2003), de s’emparer artistiquement de ce lieu chargé d’histoire – ancienne école devenue prison, la bâtisse servit de funérarium jusqu’en 2009. Un choix porté par le goût prononcé du duo pour les utopies architecturales du XXe siècle tout autant que pour des domaines aussi variés que la biologie, la psychanalyse, la neurologie ou encore la sociologie qui irriguent leurs créations.
Duchamp
C’est du côté des jeux de mots de Marcel Duchamp que Berdaguer et Péjus puisèrent leur inspiration : « A Guest + A Host = A Ghost »[3. Un invité + un Hôte = un Fantôme]. De là, naquit la Gue(ho)st House et sa nouvelle peau oblongue, support de toute la fantasmagorie de ses auteurs au service de la réunion au sein d’un même espace d’invités et d’hôtes, d’artiste et de public. Comme les fantômes dont on ne distingue l’aspect qu’en les recouvrant d’un drap, ils imaginent vêtir la maison existante d’une forme organique d’un blanc profond et hypnotique (un Pantone 9016 appliqué en plusieurs couches, écho aux murs immaculés de l’intérieur de La Synagogue). Une entité, toute en courbes et coulures, comme animée d’une vie propre, dont on ne sait pas si elle sort du sol ou s’y agrippe par le biais d’étranges tentacules, qui n’est pas sans rappeler l’univers graphique d’un Moebius ou la Fat House d’Erwin Wurm. « L’architecture est un espace possible pour l’imaginaire, pour raconter et se raconter des histoires », confient de concert Christophe et Marie. « Notre proposition relève du geste architectural par sa forme et son parti pris mais aussi d’un questionnement sur la sculpture, le voile générant à la fois des bas et des hauts-reliefs. » Deux semi-remorques ont été nécessaires à l’acheminement des blocs de polystyrène à haute densité, découpés et sculptés en Espagne, déformant la maison. Leur assemblage sur des tiges filetées par scellement chimique dans la façade et sur le toit prirent quatre semaines. Il fallut ensuite combler les fentes, lisser et polir à la brosse en fer et au papier de verre. Une couche de 5 mm de résine a été projetée sur l’ensemble, prenant une couleur jaune à la lumière du soleil. La peinture au pistolet lui donnait sa couleur définitive, un blanc éclatant avec un effet de matière incroyable qui se prolonge sur l’herbe du jardin par un banc, lui aussi en résine, augmentant l’effet d’étirement de la maison.
De la visibilité
Sans parler d’effet Bilbao[4. Nom donné, en référence au Musée Guggenheim, aux incroyables retombées en termes de tourisme, d’économie et de notoriété touchant une région suite à l’implantation d’un geste architectural fort], l’ensemble des financeurs espère bien susciter la curiosité du public et attirer, dans cette commune de 967 habitants, de nouveaux visiteurs. Impossible en tout cas de passer à côté de la Gue(ho)st House. Il a tout de même fallu faire preuve de pédagogie avec les Delmois, pas vraiment emballés au début du projet. Mais à côté de la nouvelle salle polyvalente à trois millions d’euros, les 400 000 euros de budget ici nécessaires n’incombent que partiellement à la commune[5. Celle-ci participe à hauteur de 20% du total quand l’État, le Ministère et la Drac assurent 45%, le Conseil général de Moselle 15%, la Région Lorraine 12,5% et l’Europe 7,5% par le Fonds européen agricole pour le développement rural]. De quoi satisfaire tout le monde et permettre, aussi, d’améliorer l’existant : l’intérieur de La Synagogue a été mis en lumière, une nouvelle signalétique et des néons lumineux verticaux balisant les lieux. Dans l’intérieur rénové, prendront place un nouvel accueil pour les publics ainsi qu’un espace ressources où exposer les éditions du Centre d’Art mais aussi les monographies des artistes invités. « De quoi permettre aux visiteurs de s’installer pour consulter tout cela confortablement », se réjouit Agathe Borgne, responsable de l’administration et de la communication. « Mais aussi de développer les actions de médiation et d’accompagnement des publics, notamment dans l’ancien préau, aujourd’hui recouvert et doté d’une baie vitrée de sept mètres donnant sur le jardin jouxtant La Synagogue ». À l’étage, un studio permettra de loger les artistes ou les collaborateurs ponctuels. Restera à résoudre la question des moyens humains, en sus des quatre employés actuels, pour faire tourner ce nouvel équipement dont les horaires d’ouverture devraient, à terme, se caler sur ceux de La Synagogue.
03 87 01 43 42 – www.cac-synagoguedelme.org