Songes d’une nuit d’été
Délicatesse d’un Prélude de Chopin, élégante pompe baroque du Te Deum de Charpentier, pyrotechnie vocale rossinienne, classiques du romantisme français, extases organistiques… La galaxie des festivals classiques de l’été 2018 est vaste et séduisante. Présentation des rendez-vous essentiels.
Alors que les difficultés financières sont le lot quotidien de nombreuses manifestations, certaines jettent l’éponge. Après la disparition dans l’indifférence du plus vieux festival de France à Strasbourg, victime de l’incurie générale, c’est le luxembourgeois Festival d’Echternach qui s’arrête après près de 45 ans de bons et loyaux services « à la suite de problèmes relationnels et financiers ». Il est ainsi essentiel de mettre en lumière des événements qui se battent, année après année, pour défendre une certaine idée de la musique, comme le Festival international de Colmar. Virtuose, mystérieux, naturel, éblouissant… Lorsqu’il s’agit d’évoquer Evgeny Kissin, les adjectifs s’alignent comme à la parade. C’est au célèbre pianiste que sa 30e édition – dirigée par l’inoxydable Vladimir Spivakov – rend hommage dans une programmation à la tonalité très russe. On découvrira toutes les facettes de l’invité d’honneur, récitaliste enthousiaste (dans un programme Chopin, Schumann, Debussy, Scriabine, 04/07), compositeur et chambriste accompli (qui interprétera sa propre Sonate pour piano et violoncelle avec Mikhaïl Milman, 09/07), concertiste virtuose (13/07)… mais aussi émouvant récitant de poèmes en yiddish (11/07). Plus que jamais, Colmar est une date à cocher dans l’agenda des amoureux de la musique cet été, tout comme les Ludwigsburger Schlossfestspiele où, parmi une pléiade de stars, se produiront, deux pianistes majeurs : Fazil Say (avec son génial Hommage à Atatürk, 21/06) et Pierre-Laurent Aimard pour qui l’interprétation est « un mélange immatériel d’intuition, de vécu et de réflexion ». Illustration dans un récital où le virtuose rassemble la musique française de Debussy, Ravel, Messiaen ou… Daquin (29/06). Nos coups de cœurs ? Le 40e Festival de Fénétrange célébrant les noces de la gastronomie et de la musique avec notamment un concert de l’Orchestre national de Lorraine dirigé par Michel Plasson (22/09) et l’European Student Orchestra Festival qui prend ses quartiers à Strasbourg, permettant de découvrir la fine fleur des orchestres universitaires du continent.
Opéra et cætera
Au rayon opératique, immense coup de cœur pour le 36e Festival international d’Opéra Baroque de Beaune qui propose notamment une nouvelle production des Nozze di Figaro de Mozart sous la direction de René Jacobs (21/07) ou un récital de la pyrotechnique mezzo Vivica Genaux (22/07). Autre événement qui a creusé son sillon, le Festival lyrique de Montperreux fête ses dix ans avec notamment une adaptation du Jeu de l’Amour et du Hasard de Marivaux pour l’immense soprano Felicity Lott (10/07). Moins connu que son homologue se déroulant à Pesaro, cité natale du musicien, le Festival Rossini de Bad Wilbad installe le soleil du bel canto en pleine Forêt noire, faisant notamment (re) découvrir l’excellent et grandiose Moïse et Pharaon (19, 25 & 28/07) ou le très oublié Zelmira (21 & 27/07), page pleine de rebondissements dont le livret abracadabrantesque se fait oublier au profit d’une musique bondissante ! Nous retrouverons également cette année la traditionnelle tournée d’Opéra en plein air qui passe par la Lorraine, au Château de Haroué (31/08 & 01/09) avant de s’achever à Paris aux Invalides (05-08/09) : comme à l’accoutumée un standard – cette année Carmen de Bizet – a été confié à un grand nom, en l’espèce le cinéaste Radu Mihaileanu (Train de vie, Le Concert, etc.) : étincelles en perspective !
Médiévale & baroque
L’été est propice à la plongée dans des sonorités préromantiques : parmi de nombreuses manifestations, citons le bien nommé Musique et mémoire associant répertoire baroque et joyaux patrimoniaux des Vosges du Sud qui fête son quart de siècle. Avec deux ensembles en résidence, Les Timbres (à voir un séduisant Orfeo de Monteverdi, 10/07) et Vox Luminis (pour une promenade dans Toute la lumière de Bach, 27-29/07), le parcours s’annonce séduisant comme celui du Festival de Froville magnifiant l’acoustique parfaite de la chapelle lorraine : parmi la tornade baroque, mentionnons le concert des Talents lyriques dirigés par Christophe Rousset qui proposeront le Stabat Mater de Pergolèse et le Salve Regina de Porpora avec la soprano Sandrine Piau (30/06). Autres rendez-vous marquants, le médiéval Voix et Route romane, 26e du nom (avec pour thématique Alpha et Oméga), le 33e Festival de musique baroque du Jura qui invite notamment à une étonnante exploration des sons de la Révolution avec France 1789 de La Clique des Lunaisiens (09/06) ou encore la saison 2018 du Festival des abbayes en Lorraine. Pour la dernière partie du cycle de trois années de concerts, de conférences et de partenariats autour des Jardins et de la Nature, la manifestation arpente les notions antagonistes d’ordre et de désordre avec notamment Hervé Niquet et son Concert spirituel (21/07) dans un programme autour de Marc-Antoine Charpentier avec son Te Deum mondialement célèbre depuis qu’un fragment de son Prélude sert d’indicatif à l’Eurovision.
Intimités chambristes
Académie classique et festival, Musicalta (pays de Rouffach), célèbre sa 23e saison ; construite sur un principe similaire, la 5e Académie d’été de musique contemporaine de l’Ensemble Linea ouvre, elle aussi, de nombreux rendez-vous au public, avec notamment la présence des deux lauréats de l’édition 2017, le percussionniste Kalle Hakosalo et le pianiste Francisco Marti. Une même exigence artistique anime le 14e Festival de Wissembourg où l’on retrouvera des habitués comme les Quatuors Zemlinsky (23 & 25/08) et Ebène (27 & 28/08) : la classe mondiale, tout comme le pianiste Nikita Mndoyants (21/08), un autre fidèle de l’événement. Des émotions fortes sont aussi en perspective aux Nancyphonies avec le duo glamour violon / violoncelle formé par Camille & Julie Berthollet (28/08) et au SOLsberg Festival fondé par la violoncelliste Sol Gabetta qui y invite ses amis pour huit concert rayonnants !
L’or des orgues
Last but not least : deux manifestations alsaciennes rendent hommage à l’orgue ; logique lorsqu’on sait que la région abrite 1 200 des quelque 7 000 instruments de l’Hexagone. Avec pour thématique Bach to the future, le 42e Festival de Masevaux donne le ton avec notamment la création d’Immortal Bach (09/09) pour lequel Catherine Fender réunit une trentaine de chanteurs pour interpréter des pages du Cantor de Leipzig et du compositeur norvégien Knut Nystedt (1915- 2014). Enfin, on craque pour la 2e édition de Stras’Orgues qui fera vivre le patrimoine organistique exceptionnel de la capitale européenne, mettant en pleine lumière deux buffets “relevés” récemment, l’orgue Roethinger de Saint-Pierre-le-Vieux et le grand orgue Walcker de Saint-Paul. Plus grand orgue symphonique d’Alsace, il sera joué par le brillant Thierry Escaich (26/08) pour un attendu concert de clôture.
L’âme russe
Si Evgeny Kissin est l’invité d’honneur du Festival international de Colmar, bien d’autres stars y ont été conviées pour un programme à la tonalité éminemment russe. On y croisera aussi bien le violoniste Mischa Maisky (Variations sur un thème Roccoco de Tchaïkovski, 05/07) que le très rare pianiste Grigory Sokolov (fidèle de la manifestation depuis 2006) qui se plongera dans Haydn et Schubert (12/07) ou encore le virtuose du clavier Denis Matsuev pour un Concerto n°3 de Beethoven (10/07) que l’on imagine tonique. À côté de ces virtuoses confirmés, nous aurons aussi la chance de découvrir le tout jeune Alexander Malofeev (né en 2001) au talent hors norme. Il donnera deux concertos pour piano dans la soirée (viserait-il le Guinness Book ?), celui de Grieg, monument romantique, et le troisième de Prokofiev qui requiert une virtuosité invraisemblable.
À Colmar, du 4 au 14 juillet
festival-colmar.com