Sombre Sambre
Il y a quelques jours, Marc-Antoine Boidin était invité par la très dynamique librairie strasbourgeoise JDBD : l’occasion de rencontrer le dessinateur de l’ultime trilogie de La Guerre des Sambre.
Initiée en 1986 avec un premier opus retentissant Plus ne m’est rien…, la saga Sambre est une des épopées en bande dessinée les plus fascinantes de l’histoire. Scénarisée par Yslaire (sauf pour le premier épisode), il s’agit d’une saga complexe en forme d’histoire de famille : six albums (trois à paraître) se concentrent sur la tragédie romantique autour du couple devenu mythique, Bernard & Julie (entre 1847 et 1871). Un bourgeois est amoureux d’une jeune vagabonde aux yeux rouges que sa famille déteste. Décor balzacien et superstitions venues du fond des âges inspirées par l’esthétique du roman gothique entraînent le lecteur dans le fascinant tourbillon d’une malédiction (le fameux « Malheur à celui qui aimera une fille aux yeux de braise, car celui-là pleurera sa vie durant des larmes de sang » écrit par Hugo)… expliquée par le passé et neuf autres albums regroupés sous l’intitulé La Guerre des Sambre, explorant les sources de cette passion funeste jusqu’en 1768. La chose se décompose en trois cycles de trois albums chacun (il faut suivre !) : Hugo & Iris (dessins de Jean Bastide et Vincent Mézil), Werner et Charlotte (dessins de Marc-Antoine Boidin) et, enfin Maxime & Constance dont vient de paraître le premier volume.
Lorsqu’il découvre, à 17 ans, l’univers de Sambre, Marc-Antoine Boidin subit « un choc artistique, visuel et émotionnel à la fois : les cadrages, le dessin le choix pictural du gris et rouge, une narration étudiée au millimètre ». Il est scotché par le dessin de Yslaire qui va clairement l’influencer. Lorsqu’on lui propose tout naturellement de prendre en main un cycle de La Guerre de Sambre, il est ainsi « fasciné et… affolé ». Mission accomplie avec maestria dans Werner & Charlotte. Il récidive donc avec l’ultime trilogie dont le premier opus débute à l’automne 1775. Le dessinateur s’empare des fondamentaux de l’univers de la saga avec grand naturel, donnant, comme un grand violoniste, une vision de l’histoire à la fois personnelle et fidèle à la partition. Il réussit en effet à conférer une profondeur graphique propre à chaque personnage. Sans doute grâce à son mode de travail avec Yslaire : « Il me parle comme un metteur en scène parlerait à un acteur, véhiculant des émotions que je tente de retranscrire dans la planche » explique-t-il. Cette trilogie ultra dark se concentre sur un des personnages essentiels de la saga, Maxime-Augustin de Sambre et débute alors qu’il est enfant à la cour de Marie-Antoinette. Les premiers éléments distillés dans ces pages nous annoncent un épisode cruel et pervers, le plus dur de la série assurément… Dans une atmosphère évoquant Les Liaisons dangereuses et Barry Lindon, le lecteur reste abasourdi, assistant à la naissance d’un monstre : entre mélancolie romantique, expériences malsaines et violence physique et morale, l’ombre de Sade semble désormais flotter sur la série…