Simpléxissime
Les Docks : un entrepôt industriel strasbourgeois transformé par Anne-Sophie Kehr et Georges Heintz en paquebot surmonté d’une ossature métallique. Ce cadavre exquis patrimoino-contemporain a été récompensé par le Prix AMO 2018.
Le Prix AMO récompense des bâtisses issues d’un fécond « dialogue et échange entre architectes et maîtres
d’ouvrage », selon Martin Duplantier, président de l’association éponyme créée en 1983. Les Docks, réalisés par le cabinet Heintz- Kehr avec l’Icade Grand Est, se sont très vite imposés comme la construction la plus audacieuse des 200 équipes candidates. Pour Anne-Sophie Kehr, ex-associée de Georges Heintz (les deux volent dorénavant chacun de leurs propres ailes), aujourd’hui – entre autres activités – présidente du Réseau des Maisons de l’Architecture, « notre métier ne consiste pas à remplir une page blanche » : ce projet de longue haleine, livré en 2014, « assume la confrontation » entre le socle patrimonial, soit la bâtisse de 1932 de Gustave Umbdenstock, et la structure en acier actuelle. Georges Heintz appelle ça de « l’architecture situationniste », répondant au contexte en utilisant un vocabulaire portuaire et une « rhétorique uviale ». À deux pas de la Médiathèque, sur la Presqu’île André Malraux, Les Docks résultent d’un « juste équilibre » entre héritage industriel et geste contemporain.
La toiture de tuiles de l’entrepôt de stockage de grains a été rasée pour accueillir une “boîte“ métallique en léger décalage (avec un porte-à-faux de 15 mètres), créant un effet dynamique à cet imposant paquebot, comme en partance vers d’autres contrées. Le squelette d’acier laqué noir, posé et habillé par le duo, abrite 67 logements standing. La façade entièrement vitrée offre un panorama exceptionnel aux habitants des trois niveaux de ce vaisseau inspiré par Mies van der Rohe ou Craig Ellwood.
La simplicité apparente de cette restructuration dissimule la complexité d’un challenge consistant à métamorphoser le hangar Seegmuller en bâtiment multi-programmatique avec logements, activités tertiaires, établissement recevant du public… Ainsi, a-t-il fallu se plier à toutes les réglementations en vigueur (différentes en fonction de la destinée des espaces) et répondre aux normes sismiques, en créant des pieds traversant l’ensemble afin de consolider l’assise à un terrain caillouteux et capricieux. « Ce projet fut d’une grande simplixité », résume par un néologisme Anne-Sophie Kehr qui rend hommage à la robustesse de la construction d’époque en béton armé qu’il a fallut désosser avant de fixer des briques neuves. Le préexistant accueille aujourd’hui, sur trois niveaux, des bureaux, une école de communication (l’ECS), des restos… franchisés (« C’est la fatalité du consumérisme ») ou le Shadok, espace dédié au numérique placé dans une poche de 2 000 m2 laissée brute. La poésie horizontale des Docks et la conjugaison des deux entités (pour 11 600 m2 de surface totale) ont séduit Dominique Coulon, co-président du jury du Prix AMO, vantant « la grande distinction de la surélévation posée sur l’existant, sa finesse et le minimalisme de son écriture qui contrastent avec la robustesse du socle ». Docks Malraux, te amo !