Signes
Le Frac Alsace invite à contempler des Phénomènes naturels rassemblés en une exposition belle comme une aile d’oiseau déployée, commissionnée par Felizitas Diering, sa nouvelle directrice.
L’ancienne directrice de la manifestation trinationale d’art contemporain Régionale nous présente sa première expo au Frac, entre une monumentale photographie en noir et blanc de Balthasar Burkhard – une Aile de faucon en gros plan – et une Demi-lune de Marc Couturier semblant luire dans un ciel zébré de nuages. Elle a pris ses fonctions il y a une poignée de semaines à peine et, pour se familiariser avec une vaste collection, a parcouru les rayonnages des réserves avant de définir une thématique dédiée aux Phénomènes et mêlant des artistes considérés comme des observateurs qui « regardent leur environnement, étudient le réel et subliment la nature ». Nos contemporains voient des images en permanence, un coucher de soleil sur Instagram ou un sommet montagneux sur Facebook. Felizitas Diering place ici le public face à « la matérialité » des phénomènes, à travers une sélection d’œuvres exposées de manière « muséale » afin qu’elles puissent « respirer », se répondant sans empiéter l’une sur l’autre.
La visite commence avec la série Natural History Part I – Mushrooms de Cy Twombly, mêlant techniques de l’estampe et du collage. Des planches scientifico-poétiques qui introduisit à merveille l’exposition car faisant directement écho aux cabinets de curiosités, « à l’origine de la collection », et soulignant « l’interdépendance entre nature et culture » en combinant coupes de champignons et représentations de sujets picturaux classiques comme Léda et le Cygne. Il s’agit d’une des premières acquisitions du Frac Alsace, en 1983 : un habile clin d’œil à ce qui n’est pas un ensemble poussiéreux d’œuvres rangées dans de sombres réserves, mais « un écosystème vivant »… parfois fragile, s’il s’agit du travail de Jan Fabre. L’homme de théâtre et plasticien fasciné par les métamorphoses kafkaïennes, les insectes à carapace et la « méticulosité flamande », a lié un sacrum humain et une verticale composée de multiples scarabées agglomérés les uns aux autres, signifiant que le coléoptère, « mémoire de la terre », fait partie d’une espèce très résistante présente bien avant l’Homme. Phénomènes invite à l’humilité. Confronté à l’infiniment grand ou au microscopique, il faut se faire tout petits devant une nature intimidante, notamment un étrange paysage lunaire, une image cosmique – mais trompeuse – de Pierre Savatier, des planètes dans l’immensité galactique… s’avérant être une constellation de minuscules Gouttes d’eau agrandies. L’exposition impose la modestie. Si un homme ne peut pas déplacer une montagne, la nature si ! Ainsi Adrien Misika a réalisé une vidéo (Sailing Stones) documentant un étrange phénomène du parc national de Death Valley, en filmant de lourdes pierres posées sur un lac asséché en une série de plans fixes. Seule la poussière se soulevant lorsque souffle le vent permet de remarquer qu’il ne s’agit pas de photos, mais d’images en mouvement. Nous ne voyons pas les roches bouger, mais les longues marques laissées derrière elles, comme des traces de reptiles sur un sol sableux. Comment est-ce possible ? Farce ? Fake ? Œuvre de land art ? Miracle ? Muettes, Agnès, Barbara, Brenda, Laura et Marie (les petits noms affectueusement données aux gros cailloux) ont bien des secrets qu’elles refusent de nous livrer.