Klara Beck, A Shanghai Gesture, 2002
« Ouvrir ses yeux à Shanghai, c’est entrer dans une danse où se frôle, se mêle et se croise une population qui semble flotter avec grâce dans l’espace urbain.
Les gens vivent dehors. D’où ils sortent et où ils vont sur leurs vélos apparaît comme un mystère.
Ils s’engouffrent naturellement dans le flot de la circulation de cette ville dont le visage change jour après jour au gré des nouvelles constructions, qui remplacent sans état d’âme les anciens quartiers historiques et insalubres par des gratte-ciel impressionnants.
Tout ici paraît incroyable, mais rien ne semble déplacé ; tous ces mouvements dans des directions et à des vitesses différentes semblent s’harmoniser sans heurt apparent. »
Instantanés d’un parcours
« J’ai commencé la photographie comme une amatrice. Je voulais faire une école, mais je m’y suis prise de traviole. » Ainsi débute cette Strasbourgeoise de 34 ans, loin des passages habituels par une école ou comme assistant d’un photographe. Elle aime se laisser porter par ses envies et les aléas que lui offre la vie. À 20 ans, elle est en voyage en Pologne lorsqu’une rencontre l’amène à devenir reporter photo pour un quotidien de Varsovie, la Gazeta Wyborcza. De retour en France, deux ans plus tard, elle s’inscrit à la fac – Histoire de l’Art et Archéo – poursuivant la photo dans son coin. Viennent plus tard les tentations de l’illustration et de la mode, celles des portraits et de la pub. Rien qui ne lui plaise réellement. Elle retourne à ses propres projets, ses interrogations sur la perception de la réalité, le rapport à l’autre et au corps. Ses premières séries – des nus dans des piscines et des bains de lait – sont très esthétiques et montrent des corps objets. Klara Beck s’échappe des cases habituelles du reportage dont elle « n’aime pas la dramatisation », mais aussi de l’art, ne voulant pas se « couper de la réalité et de la relation aux personnes. Je fais tout pour que ma photo documentaire soit calme. Il faut prendre le temps de la regarder. » Et toujours présenter son travail dans sa globalité, lui être fidèle, « ne pas vendre plutôt que mal vendre » ses clichés.
Passage au révélateur
Son attrait pour l’Asie datait. Klara s’était même mise au chinois dans l’optique de s’y rendre. En 2002, une rencontre à l’Alliance Française lui offre l’occasion d’aller à Shanghai pour une résidence de deux semaines. Sans argent, n’y connaissant personne, elle décide d’y passer trois mois, se débrouillant comme elle peut. « Tout mon travail est centré sur les gens. Ils m’attirent plus que les villes. Mais à Shanghai, l’architecture, les lieux d’habitation et de vie, ce bouillonnement entièrement tourné vers l’avant m’ont emportée ». Le seul de ses reportages où la ville a imposé sa présence. Cette métropole était une entrée en matière assez douce dans l’empire du milieu car « c’est une ville tournée vers l’Europe. Les ruines de la partie française flottent dans cette “New York chinoise” ».
A Shanghai gesture, l’un des deux sujets qu’elle en ramène, est baigné d’une impression très particulière de légèreté et d’un curieux mélange : Shanghai paraît, tour à tour, « plus fragile que le plus pauvre pays d’Afrique et plus moderne que les villes occidentales ! Ça a donné des ailes à la petite Strasbourgeoise que j’étais. Je me suis rendu compte que les Européens ne sont qu’un gros paquet d’Histoire qu’ils contemplent dans de beaux sièges, alors que l’avenir est en Chine. Pour les Chinois, pas question de conserver quoi que ce soit, le présent se conjugue au futur… »