Serge Aimé Coulibaly danse Wakatt
Création grand format du Burkinabé Serge Aimé Coulibaly, Wakatt chemine au cœur des peurs de notre époque avec dix danseurs, trois musiciens et pas mal de frénésie.
Et si “notre temps” – signification de Wakatt en mooré, langue des Mossis – était celui d’un chaos organique, d’une énergie survoltée, proche du collapse ? Sur un parterre de cendres épais, les danseurs de la pièce de Serge Aimé Coulibaly extériorisent les tourments qui les habitent. Le demi astre rougeoyant, devant lequel ils tentent de se maintenir debout, semble catalyser les flux d’attirance et de répulsion régissant leurs relations, si ce n’est leurs états d’âme en proie au tourment. Perclus dans leur individualité, les dix danseurs sont pourtant toujours entourés, chahutés, défiés et regardés par la communauté disparate réunie au plateau, pulsant de vie sous les assauts répétés de trois des musiciens du Magic Malik Orchestra, dont l’improvisateur français himself à la flûte. Des cuivres jazzy du saxophone en passant par les percussions endiablées et les lignes de basses profondément trippantes, la musique accompagne les moeurs sans cesse renouvelées, mais toujours troublées, qui se déversent en torrents de mouvements frénétiques. Au milieu des silhouettes se découpant devant le soleil couchant, se joue un étrange rituel de naissance depuis l’obscurité – ou le néant d’après le drame.
Comme possédé, un homme tourbillonne de longues minutes au milieu de ses pairs immobiles. Il se débat autant dans leur impassibilité que dans une ronde guerrière où d’aucuns le poussent et le rejettent quand ils n’essaient, vainement, de contenir son débordement – de quoi ? Sentiments, colère, tristesse, déchargement émotionnel, folie, dépression, trouble profond de l’anxiété… Autant de pistes qui naissent dans l’esprit du spectateur sans être jamais explicitées sur scène. La contagion de ce bouillonnement incontrôlé – en apparence seulement, tant il requiert de technicité pour les interprètes –, et de l’appel au sol qui s’ensuit, passe d’un corps extravagant et détonnant à l’autre, jusqu’à cheminer dans une solitude pleine d’incompréhension. L’autre est bel et bien cet étrange étranger qui dérange. Peur et pouvoir se mêlent dans la figure d’une matriarche autoproclamée, s’emparant d’une pépite d’or de trois mètres de haut comme d’un trône dévolu à sa cupidité dominatrice. Tout le monde vient s’y recueillir, claudiquant en vagues successives. Ce va-et-vient prend les atours d’une danse votive servile, où l’on revêt des cagoules façon Pussy Riot, quand ce n’est pas un masque traditionnel cérémoniel et son costume de fibres végétales. La pièce bascule lentement vers plus d’unisson, voire de douceur et d’enlacements, au milieu d’une danse d’élévation tournée vers les cieux. La reine déchue est remplacée par une femme à l’immense robe sombre, paraissant sortir tout droit d’une photographie de la série The Prophecy de Fabrice Monteiro, qui s’intéresse aux dégâts écologiques provoqués par les entreprises extractives des richesses africaines.
Au Maillon (Strasbourg) jeudi 25 et vendredi 26 mai en coréalisation
avec Pôle Sud
maillon.eu – pole-sud.fr
> Bord de scène avec Serge Aimé Coulibaly, jeudi 25 mai à l’issue de la représentation