Road movie dans le caucase
Bérangère Vantusso signe le spectacle de fin d’études de l’École nationale supérieure des Arts de la Marionnette de Charleville-Mézières. Elle revisite Le Cercle de Craie Caucasien, pièce engagée et drôle de Brecht.
Pour les 30 ans de l’ESNAM, son directeur, Éloi Recoing, déroge à l’usage en proposant un spectacle de sortie collectif aux élèves de la 10e promotion. Les douze diplômés n’étaient pas de trop pour s’attaquer, avec la metteuse en scène Bérangère Vantusso, à cette pièce épique contenant près de 70 personnages. Deux kolkhozes se disputent le partage des terres au milieu des ruines de leur village bombardé. Ils décident de jouer une pièce en recourant à une ancienne légende chinoise – le cercle de craie – en vue de révéler la meilleure solution à leur différend. La pièce dans la pièce démarre sous nos yeux au milieu d’une forêt de cartons aux cimes vertigineuses. Dans ce road movie en plein Caucase balayé par la Révolution, nous suivons les péripéties de Groucha et du petit Michel, enfant du gouverneur décapité que l’ancienne cuisinière du Palais a recueilli dans sa fuite, alors que sa mère l’abandonnait. Pour survivre et échapper aux soldats lancés à la poursuite de l’héritier, elle accepte d’épouser un vieux paysan prétendument mourant, créant la confusion chez son fiancé une fois les combats terminés.
La mère biologique de Michel fait son retour, réclamant l’enfant. Il revient donc à Adzak, écrivain public devenu juge par hasard, de trancher. Cet homme, fréquentant d’un peu trop près la boisson, propose le rituel du Cercle de craie pour déterminer la “vraie mère” parmi les deux prétendantes. Bérangère Vantusso recourt à des animaux-marionnettes pour conter cette fable donnant à voir la brutalité du monde – ces adultes avides et corrompus – par les yeux du petit Michel, enfermé dans sa vitrine transparente. Un mélange de pantins hyper-réalistes et de taxidermie forme des personnages hybrides, chimères peuplant son imaginaire enfantin au milieu d’un décor lo-fi, modulable à l’envie. Le théâtre épique, politique et poétique de Brecht entremêle les genres et dépeint des personnages imprévisibles, laissant le spectateur sur le qui-vive. Une formidable matière à jouer pour les jeunes marionnettistes : tragiques comme des bêtes empaillées, drôles comme des peluches, leurs personnages archétypaux (prince, mère, soldat, paysans…) sont toujours plus complexes qu’il n’y paraît. Ainsi ce juge, prêt à accepter les pots de vins, se prononce-t-il toujours en faveur des plus pauvres. À l’instar de Salomon, sa leçon pleine de sagesse dessinera les contours d’un nouveau monde.
> Au Manège (Reims), samedi 9 décembre dans le cadre de METACORPUS (du 6 au 9 décembre), temps fort dédié à la marionnette avec notamment l’artiste iranien Ali Moini et la norvégienne Yngvild Aspeli