Rebonjour monsieur Courbet
Le musée Courbet, dédié à l’enfant du pays d’Ornans, vient de rouvrir ses portes. L’agence Ateliers 2/3/4/ a proposé un habile dialogue entre le peintre, sa ville et le paysage, un adroit jeu de volumes et de transparences.
Un Enterrement à Ornans (1849-1850), Bonjour monsieur Courbet (1854), Le Renard pris au piège (scène de chasse de 1860 conservée au musée ornanais) ou L’Origine du monde (1866) sont autant d’œuvres signées Gustave Courbet, né en 1819 à Ornans, dans le Doubs*, et mort en 1877 à La Tour-de-Peilz en Suisse. Après l’épisode de la Commune de Paris, de mars à mai 1871, courte période d’insurrection contre le pouvoir dans laquelle il s’est investi, Courbet est obligé de s’y exiler, dès 1873. Le musée qui lui est dédié, fermé depuis 2008 pour travaux, voulait offrir un édifice à la hauteur de cet artiste fort en tempérament qui, engagé politiquement et artistiquement, défendra une peinture réaliste – « Faire de l’art vivant, tel est mon but », affirmait-il –, parfois jugée “laide” à l’époque, souvent scandaleuse.
Le nouveau musée n’occupe plus seulement l’hôtel Hébert, sa maison natale. En s’étendant à deux édifices mitoyens, la maison Borel et l’hôtel Champereux, il a quadruplé sa surface, passant de 500 à 2 000 m2. Pour Christine Edeikins, architecte de l’agence Ateliers 2/3/4/, le pari était de mettre en relation « une ville dont l’architecture est remarquable et un programme à l’ambition forte » et d’intégrer un musée techniquement moderne dans une enveloppe patrimoniale. Les transitions de bâtisse à bâtisse, matérialisées par la taille en biais de l’épaisseur des murs, correspondent aux passages d’une période à l’autre.
Un parcours chronologique
Le visiteur déambule d’abord dans l’hôtel Hébert, s’imprégnant de l’ambiance boisée de ses pièces inscrites à l’Inventaire des Monuments Historiques et contemplant les œuvres de jeunesse de Courbet. Ensuite, de la maison Borel à l’hôtel Champereux, il découvre les premiers tableaux réalistes de l’artiste, traverse la galerie des révolutions – pièce peinte en rouge vif évoquant la révolution de 1848 instaurant la seconde république –, se familiarise avec ses grands formats, découvre ses « suiveurs », prend connaissance des prises de position du peintre durant la Commune avant son exil en Suisse… Il traversera notamment la Boîte noire, “excroissance” visible de l’extérieur évoquant, en sons et en images, la “rupture artistique” de Courbet. Une des parois reprend les dimensions d’Un Enterrement à Ornans traitant en 315 x 668 cm d’un sujet de la plus grande banalité, loin des grandes fresques historiques de l’époque. En fin de visite, il marchera sur un plancher de verre frôlant le lit de la Loue afin d’accéder au jardin, précédemment “caché” et ici ramené dans le dispositif. Le visiteur passe ainsi d’espaces « abstraits » (la galerie des révolutions) à des espaces plus « sensuels » baignés de lumière.
Des parties ont été créées : le nouvel accueil du musée, dans l’ancienne cour de l’hôtel Champereux, avec son pavage et son revêtement en lait de chaux, la cafétéria en fond de jardin et la galerie suspendue au-dessus de la rivière, « comme un trait d’union entre les maisons. » Christine Edeikins insiste sur l’étroite collaboration avec Guliver Design en charge de la muséographie : « Nous avons fait des choix communs, architecturaux ou scénographiques, afin d’établir une relation forte entre l’esprit de Courbet et la spatialité des lieux. » Il y a bien quelques matériaux sophistiqués, localisés dans la galerie des révolutions et la Boîte noire (recouverte de maille en inox), mais les matières utilisées sont généralement « simples », voire « rustiques, à l’image du peintre ».
Emmener le paysage à l’intérieur
Le lien au site est une donnée « fondamentale » pour les réalisations de l’agence Ateliers 2/3/4/. « Sans forcément faire une architecture contextuelle, nous cherchons toujours à prolonger l’espace privé et public. » L’introduction du paysage dans le musée, grâce à de grandes baies vitrées, permet de bien saisir la relation « affective et physique » de Courbet à son territoire. Pour Christine Edeikins, « il n’a cessé de se revendiquer de la Franche-Comté, et d’y retourner, afin de tirer de quoi exprimer sa peinture. » L’architecte fut inspirée par le talent et le caractère de ce peintre « fort en gueule », auteur des Casseurs de pierres et ami de Proudhon. « J’ai eu le sentiment de rester fidèle à la manière d’être de Courbet, à sa liberté de penser et de conception, au-delà des conformismes et des idées reçues. L’histoire de l’architecture est faite de ruptures. »
* Le Conseil Général du Doubs est le maître d’ouvrage du musée qui s’inscrit dans le programme Pays de Courbet, pays d’artiste – www.doubs.fr
03 81 86 22 88 – www.musee-courbet.fr
L’agence parisienne créée en 2005 rassemble, autour d’« intérêts communs », des architectes qui ont débuté leurs études au même moment. Avec plus de 70 collaborateurs, Ateliers 2/3/4/ a réalisé des projets très hétéroclites en France et dans le monde : des logements à Boulogne-Billancourt, des tours à La Défense ou au Vietnam, une église au Liban, une maison des Arts et de la Culture à Beyrouth… www.a234.fr