Raisons d’agir
Artiste associé à La Filature, David Lescot y crée sa nouvelle pièce. Avec Nos occupations, il explore les tiraillements existentiels et relationnels d’une organisation clandestine.
Symbole du renouveau théâtral français et de ces metteurs en scène choisissant d’écrire leurs propres textes[1. Voir nos articles sur ses précédentes créations Tout va bien en Amérique et Le Système de Ponzi], David Lescot poursuit son exploration du genre humain avec Nos occupations, texte qu’il polit depuis près de dix ans. Une maturation lente, en couches de sens, qui nous convie au cœur d’un groupe de résistance active dont les membres se démènent pour lutter contre un régime oppresseur. Les rouages du langage crypté se font jour dans un flot continu de paroles apparemment banales au milieu de la foule, si bien que l’on peine à distinguer le véritable sens des mots échangés. La première partie est un ballet au tempo très rapide, une succession de discussions en duo dans lesquelles la peur d’être pris et entendu tend les êtres. À six semaines de la première, l’auteur-metteur en scène dirige ses comédiens aux multiples identités dans un travail du masque et de neutralisation des intentions de jeu, une manière de coller aux rôles de dissidents complotant contre le pouvoir en place pour lesquels cacher leurs desseins relève de la survie. Mais aussi de s’emparer d’un texte multipliant les fausses pistes, ne livrant que la part émergée de l’iceberg. Dans une scénographie peuplée de pianos écrasés où viendra prendre place une partie du public, les scènes s’enchaînent et se superposent, guidées par l’étrangeté inquiétante de la musique interprétée en direct par le pianiste Damien Lehman.
Le temps des luttes est fini. La seconde partie du spectacle se fait plus classique. Le réseau clandestin n’est plus réellement actif mais continue de se réunir. Dans une langue moderne et des costumes contemporains, le contexte demeure volontairement flou. Seconde Guerre mondiale ? Alter-mondialistes ? Groupuscule extrémiste ? Nous ne le saurons pas. Après les pertes humaines, les trahisons et noyautages, le groupe se disloque, les femmes et hommes le composant apparaissent usés jusqu’à la moelle de leur humanité par l’action collective et sa cohorte de sacrifices, renoncements et dégâts sur les corps et l’âme. Lors d’une réunion d’anciens activistes, chacun repense le chemin l’ayant conduit à agir, à entrer en résistance avec le monde d’alors. Des introspections successives dans l’espace mental de chacun montrent la difficulté de retourner à une vie ordinaire au sein d’une société dont ils ont représenté la marge active, pour laquelle ils trouvaient des raisons d’être et d’agir. Que faire après une telle occupation ?
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