Racine au carré
Pour sa première approche du répertoire classique, Xavier Marchand fait coup double en mettant en scène Britannicus et Bérénice de Racine. Un diptyque en forme de variation sur la métamorphose des hommes face au pouvoir.
Vos précédents spectacles portaient la parole de poètes, de cinéastes ou d’ethnologues*, loin des textes dramatiques. Qu’est-ce qui vous a décidé à vous attaquer à Racine ? Mes choix passés ont été guidés par les langues ciselées, et je m’étais toujours dit qu’une fois dans ma vie j’aborderais la grande langue du XVIIe siècle. La réentendre est aussi important que de revoir de grands tableaux. Quatre cents ans après, elle est toujours opérante et conserve force et beauté. J’ai choisi Racine car ses personnages ne sont jamais univoques. Tous ont une part de lumière et d’ombre. Il y a toujours la possibilité pour le spectateur d’être en empathie avec eux.
Quels liens mettez-vous en relief entre Britannicus et Bérénice ? Dans les deux pièces se trame l’accession au pouvoir et les possibilités qu’il offre sur les êtres et les choses. Mais elles sont comme des miroirs inversés. Le Titus de Bérénice est en quelque sorte la consolation du personnage fou et sanguinaire de Néron dans Britannicus. Bérénice et Agrippine sont deux versants de l’âme féminine : la première représente la passion désintéressée, incompatible avec la rigidité des lois romaines, la seconde, mère de Néron, n’hésite pas à tuer pour assouvir sa soif de pouvoir. Les deux pièces ont surtout de profondes différences structurelles : Britannicus se déroule sur une journée truffée d’événements, Bérénice est une tragédie où il ne se passe strictement rien, où seuls importent les mouvements intérieurs des personnages. La pièce tourne en rond pendant 1 500 vers mais grâce à la langue, on retrouve la même magie qui se dégage d’un impromptu de Schubert.
Comment avez-vous mis en scène ce contraste à l’intérieur du diptyque ? J’ai pris le parti d’utiliser les mêmes éléments de décor pour les deux spectacles, mais de façon très différente, selon le rythme de chacun. Les comédiens sont les mêmes aussi, mais leur travail varie d’une pièce à l’autre, entre action et intériorisation. Ils sont comme des artisans ou des musiciens qui font des gammes encore et encore. C’est une langue dans laquelle on peut vraiment s’égarer en pensant que les vers se suffisent à eux-mêmes, mais il est nécessaire que le comédien apporte un imaginaire suffisamment construit pour que la langue révèle toute sa potentialité.
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