Qui va à la chasse perd la vie
Renaud Herbin, marionnettiste à la tête du TJP, construit un diptyque en créant Actéon, le second volet de Pygmalion miniature, basé sur les Métamorphoses d’Ovide. Confidences durant la création d’une fable initiatique qui finit mal, où l’humain se frotte au divin.
Pygmalion miniature, présenté l’an passé durant les Giboulées de la marionnette) raconte l’histoire d’un amour impossible entre un sculpteur / manipulateur et sa création qui passe « du minéral à la vie » selon l’artiste et directeur du TJP. Au cours de la création d’Actéon miniature, inspiré par ce récit mythologique « vieux de 2 000 ans » que sont les Métamorphoses, Renaud Herbin explique : « J’entreprends, au XXIe siècle, une réinterprétation de ce texte archaïque fondamental dont on ne connaît pas vraiment l’origine, avec les moyens d’aujourd’hui », annonce-t-il humblement, assis au bord de la scène, devant le décor rudimentaire. Pygmalion et Actéon sont deux solos – masculin et féminin –, des formats courts, des formes légères, se répondant tout restant indépendants. Le rapport d’échelle – le corps interprète et le corps miniaturisé – est au centre du propos de ces spectacles traitant du lien entre les hommes et les dieux.
Dévoré par ses chiens
À la fin d’une partie de chasse entre amis, le jeune adulte Actéon se perd au fin fond de la forêt où il aperçoit Diane, dévêtue, qui se baigne dans un ruisseau. Furieuse, la déesse chasseresse transforme le pauvre bougre en cerf… qui prend la fuite et se fait déchiqueter par ses propres chiens. La transgression d’Actéon lui coûta cher ! À partir de cette épopée au synopsis relativement simple, Renaud Herbin tisse un spectacle d’une quarantaine de minutes. « Je suis dans un principe d’écriture qui s’appuie sur la trame narrative, mais qui peut venir amplifier un moment, un détail, un regard… Il ne s’agit pas d’un récit linéaire. J’essaye par instants de rentrer dans la sensation d’un moment, de pénétrer dans la tête de Diane ou d’Actéon, de donner à voir un corps qui peut devenir paysage. » Passant de la narration à l’évocation, la pièce entreprend des changements de points de vue, offre des jeux de pistes et de regards. À l’heure où nous écrivons ces lignes, les choses ne sont pas encore fixées, le temps de documentation, de recherche sur le terrain, est toujours en cours. Le marionnettiste – qui avait envie d’« aller plus loin que de regarder des émissions à la télé » – a participé à une battue, a écouté le brame du cerf et a questionné des chasseurs « pour savoir quelle quête ils mènent en passant des heures à traquer la bête. J’ai compris que la chasse permettait de se situer en tant qu’humain. Il ne s’agit pas d’une simple mise à mort, d’un désir de dominer la nature, de chercher des expressions de sa supériorité : le chasseur se mesure au monde sauvage, à l’univers des dieux. » Durant ses expéditions, Renaud Herbin s’est rendu à la lisière de la forêt, près d’une clairière, « un lieu théâtral, espace d’apparition » qu’il tentera de matérialiser sur scène, dans un jeu d’ombres et de lumières, « entre chien et loup ».
Promenons-nous dans les bois
Sur le plateau presque nu, nous remarquons des marionnettes à fils, une peau de bête suspendue dans laquelle le comédien / manipulateur va pouvoir se lover ou un cerf en tissu – à l’échelle 1 –, sorte de grosse poupée rembourrée représentant l’animal chassé et figurant celui que deviendra Actéon. Rempli de terre, son contenu va se déverser sur scène durant le spectacle. « Cette matière, qui n’est pas qu’un simple élément de décor, sortira du sac comme les entrailles de l’animal. » Il n’y aura sans doute pas de texte, de dialogue, mais le son, comme souvent dans les spectacles de Renaud Herbin, aura une place considérable. Morgan Daguenet part de sonorités concrètes qu’il enregistre, accumule et retravaille. Le musicien précise : « Ils peuvent accompagner le récit, accentuer une émotion, ou l’emmener ailleurs et proposer un décalage. Ils sont comme un nouveau personnage traversant la pièce. » Le spectateur va-il se perdre dans les méandres de cette forêt, ces sous-bois sinueux où les hommes, les divinités et la nature sauvage se rencontrent ? Où les êtres se métamorphosent et les rôles s’inversent ?
03 88 35 70 10 – www.tjp-strasbourg.com