Radio En Construction, cantonnée à une demi-fréquence depuis ses débuts, revendique « une politique d’édition radiophonique fortement ancrée dans la création sonore », selon Thierry Danet, son président, également directeur de La Laiterie. Questions…
Depuis quand émettez-vous ?
Née en 1984, Radio En Construction est une radio de proposition et de découverte consacrée aux musiques et cultures émergentes ainsi qu’à la mise en forme d’un propos sur l’époque, attaché à son territoire d’action, Strasbourg et sa Communauté Urbaine. C’est une radio de proximité qui se consacre à une mission culturelle, sociétale et sociale sur son territoire d’implantation. Son équipe de portage est stable, soudée, opérationnelle et se détermine par rapport au projet éditorial et culturel de la radio et à la jubilation de le proposer sur la durée, dans une double logique de cohérence et de construction permanente. Le projet intègre également une logique de « signatures » – individualités faisant acte radiophonique avec nous à partir de leurs passions, réflexions ou démarches.
Pourquoi ce nom – Radio En Construction – , ce goût pour l’inachevé ?
Même si nous laissons à d’autres l’orgueilleuse tentation de l’achevé et du définitif, le nom de Radio En Construction ne traduit absolument pas un goût pour l’inachevé mais une promesse que nous faisons aux auditeurs et à nous-mêmes : celle d’une construction permanente et qui passe à la fois par l’intangibilité de nos fondations et fondamentaux et par un questionnement permanent. La construction est une belle dynamique quand on a pour projet de persister. On l’aura compris, à travers un nom choisi en toute conscience, Radio En Construction ne promet rien d’autre que les beautés d’une construction permanente considérée dans des perspectives esthétiques et porteuses de sens.
Vous débutez la journée par la diffusion du Transmission de Joy Division…
Tous les jours, Radio en Construction ouvre en effet son antenne à 14h00 par Transmission. “Radio, live, transmission…”, trois mots qui se réinventent à chaque fois qu’ils se posent sur le cordage de basse, sorte de Pont de Singe reliant l’émotion à l’urgence, par delà le précipice de l’indigence quotidienne… Trois mots poussés hors de la gorge par une batterie sèche et lourde, cœur et poumon, larme et colère… Trois mots qui, à chaque écoute, viennent s’enrouler dans cet ésotérique treillis de guitare barbelé, beauté acier et tranchant électrique… Quelque chose comme le rock’n’roll… Quelque chose comme un rock’n’roll déjà vieux de 25 ans à l’époque où ce morceau a été enregistré et ici brandi par un quarteron d’artistes prolos nés après lui, magnifique tentative de s’approprier le monde comme s’il restait à inventer, dérisoire tentation d’atteindre un nécessaire absolu. Tous les jours, un même frisson électrise donc l’antenne de Radio En Construction, nous ramenant, sans discussion possible à ce que notre aventure peut avoir de fondamentale… car derrière cette musique résonne également l’écho d’autres fondamentales tentatives de construire, parce que le punk notamment l’avait permis, des moyens de production, diffusion, propagation qui soient le prolongement des artistes qui les empruntaient.
Vous vous revendiquez espace de « création sonore » qui se positionne « en rupture » vis-à-vis des autres médias ? Que trouve-t-on sur REC que nous ne trouvons pas ailleurs ?
Depuis 25 ans, Radio En Construction propose une aventure exceptionnelle à travers laquelle il s’agit, par la grâce du média radiophonique, d’habiter l’espace sonore du territoire dans lequel nous émettons. Interrogeant ce qui s’y passe, mais surtout ce qui s’y joue, se préoccupant de la manière dont Strasbourg est traversée par l’époque, est percutée par ceux qui la visitent et connectée à des réseaux institués ou d’amitiés, Radio En Construction procède par une politique d’édition radiophonique fortement ancrée dans la création sonore, mettant notamment en jeu la parole individuelle recueillie, au travers d’interviews, de rencontres, de débats… Même s’il défend une ligne éditoriale et une rigueur mûries au long des 25 années de son historique, le propos de la radio n’est donc pas journalistique et s’affranchit des logiques de l’animation ou de la chronique. Sous intitulé «Cabinet d’édition radiophonique », son dispositif de création de programmes déploie depuis 25 ans une identité ancrée dans un rapport déterminé au territoire et à l’époque. D’une part, Radio En Construction constitue, un élément du paysage sonore de son territoire ; un élément riche et innovant par la maîtrise de sa programmation et ses choix en termes de musiques actuelles, de création radiophonique, de mise en forme de la parole et du son. D’autre part, par le prisme des cultures émergentes et à travers la mise en forme d’un propos sur l’époque, Radio En Construction propose un récit singulier, en temps réel, de la ville qu’elle habite. Conscient du contexte médiatique et de ses évolutions tant en termes de dispositifs (Internet, radio numérique…) que d’usages et comportements, Radio En Construction se place en complément – voire en rupture – des autres médias qu’elle côtoie.
Considérant l’auditoire de la radio comme une communauté d’individus, les éditions radiophoniques de Radio En Construction entendent s’adresser à l’auditeur dans un rapport singulier à celui-ci, respectueux de son libre-arbitre et soucieux de s’inscrire dans cette logique de dialogue toute particulière au genre radiophonique. Radio En Construction s’essaye à se réinventer en permanence, et à constituer l’espace d’une certaine radicalité, d’une forme de subversion bienveillante par l’exposition. Notre programme, que nous définissons comme un Cabinet Radiophonique de Curiosité, s’efforce d’exposer, dans une organisation dont le paramètre prédominant est l’esthétique, de petits modules de percussion de l’individu (le fameux auditeur). Ces modules, petites vitrines de musique ou de parole sont à la disposition de nos auditeurs –considérés non comme une masse mais comme une pluralité d’individus. Autour de grands projets éditoriaux, la radio développe une logique de « structure d’édition radiophonique ». Les projets développés sont ainsi tant l’œuvre de « gens de radio » que d’artistes sonores ou de personnalités qui interpellent la cité, ses acteurs, ses habitants, ses visiteurs. Un axe conceptuel, développé autour de l’exploration d’une liste de « verbes fondamentaux », permet d’articuler un grand nombre de formes et projets.
Nous avons en effet listé une série de verbes de la langue française dont le sens nous semble articuler les sujets de préoccupation de la radio. Par diverses techniques et dans le cadre d’un travail de direction artistique affirmé, nous soumettons cette liste de verbes aux personnes que nous interrogeons mais aussi aux créateurs de contenus radiophoniques qui s’associent au projet de la radio. À partir de cet axe créatif, les projets radiophoniques sont développés, ainsi articulés les uns aux autres et nourrissant le mode de travail collectif.
Pourquoi n’y a-t-il pas d’interventions en direct à l’antenne ? Pourquoi ne pas fidéliser les auditeurs avec des rendez-vous réguliers ?
Ah, le fameux auditeur ! Tout d’abord, rappelons que Radio En Construction considère les auditeurs comme autant d’individus – et donc autant de profils singuliers articulés avec la radio dans un rapport individuel voire intime, même s’il passe par une dimension collective. C’est toute la magie du genre radiophonique justement que d’inventer des formes qui jouent avec toutes les surfaces du rapport entre l’auditeur et le programme, y compris celles qui paraissent antinomiques ou paradoxales. L’auditeur n’est pas simplement un écran sonore, il est également lui-même un élément constitutif du programme. Un objectif de la programmation de Radio En Construction est d’inscrire le rapport de la radio à l’auditeur dans un dialogue subjectif ; la véritable interactivité se joue là, dans le fait que l’on aie conscience que tout ce que l’on programme s’adresse à quelqu’un de l’autre côté du poste, que l’on aiguillonne donc, par l’oreille, ses émotions afin de le faire interagir avec le programme que nous lui proposons. À nous de lui faire comprendre que nous sommes dans ce rapport-là et que ce programme musical n’est pas une simple suite de morceaux mais suggère quelque chose. Le rapport affectif au programme et à la radio est augmenté par cette sensation que peut avoir l’auditeur qu’il est au centre de ce qui se joue à l’antenne. D’autre part, l’auditeur est lui-même du fait de la logique radiophonique, dans une nécessaire implication dans le programme – quitte à ne pas être pleinement conscient qu’il est actif par rapport à celui-ci. Le climat sonore général que nous lui proposons se situe dans le registre de l’accompagnement. Régulièrement, nous pouvons lui taper sur l’épaule pour lui suggérer quelque chose, attirer son attention par tel enchaînement, tel incroyable pépite (un inédit, une reprise étonnante), telle chansons programmée en rapport avec l’actualité, le temps qu’il fait ou que sais-je. Finalement, chaque individu se connectant à Radio En Construction en devient auditeur s’il le décide et dans le cadre d’une relation singulière et que la radio ne désire pas définir seule pour un auditoire. Nous invitons aussi nos auditeurs à vivre des expériences radiophoniques singulières par l’intermédiaire de notre projet « .radio » (prononcer pointradio), notamment lors du festival Ososphère dans le quartier de La Laiterie mais aussi dans le bâtiment du môle Seegmuller, L’École d’Automne de l’université de Strasbourg depuis le café Brandt ou lors d’Imaginez Maintenant à Pompidou Metz ou de musica.radio. Dernièrement, Radio En Construction a installé un spectacle radiophonique en direct dans la salle du Ciné-Bal de l’Aubette 1928 à l’occasion de l’exposition L’Europe des esprits en collaboration avec les Musées de Strasbourg et intégrant notamment L’Ésad et L’École du TNS. Nous créons cette année « portdurhin.radio » dans le cadre d’un projet de long terme sur ce quartier.
Vous partagez la fréquence avec Arc-en-ciel… Faites-vous des demandes auprès du CSA afin d’obtenir une fréquence qui vous appartiendrait à 100% et qu’en est-il ?
Radio En Construction est cantonnée depuis sa création sur une demi-fréquence, malgré des demandes systématiques lors de tous les appels à candidatures pour obtenir les moyens d’émettre 24h / 24 et 7 j / 7, y compris en proposant des solutions techniques en concertation avec Radio Arc-en-ciel. Ces demandes se sont faîtes sur la base d’un dossier reconnu à chaque fois comme particulièrement sérieux et intéressant en termes de projet radiophonique et d’inscription dans le territoire, faisant état de la solidité de la radio (bientôt trentenaire) et d’un soutien extrêmement clair des très nombreux partenaires de la radio au niveau local et national et d’un appui massif des institutions et collectivités territoriales. Radio En Construction a candidaté pour une pleine fréquence en numérique. Radio En Construction émet sur le web 24h / 24 et 7 j / 7.
À votre avis, quelle place laisse le CSA aux radios associatives ? Quel avenir pour celles-ci ?
Quant à la politique du CSA en ce qui concerne les radios associatives, je crois qu’il faut élargir le champ de la réflexion, tant en termes de politique publique de l’offre médiatique et de contenu que d’offre culturelle – et ceci avec une approche territoriale à l’échelon des régions ou des agglomérations suivant le cas. Je suis un ardent défenseur de l’idée d’un label type « art et essai » qui reconnaîtrait la démarche d’un certain nombre de radios, à l’instar de ce qui se fait dans le cinéma.