Quelques heures de la vie d’une femme
Pour sa première à l’opéra, la jeune metteuse en scène de théâtre allemande Jette Steckel s’attaque à Tosca de Giacomo Puccini. Le résultat ? Un habile dynamitage de la tradition à découvrir à Bâle.
Tosca apparaît. Robe rouge glamour évoquant les grandes années des studios hollywoodiens. Elle se plante face à un micro et chante, accompagnée d’une guitare électrique, la rengaine écrite par Sonny Bono pour Cher, qui fut ensuite reprise par Nancy Sinatra et utilisée par Quentin Tarantino dans Kill Bill : « Bang Bang / He shot me down / Bang Bang / I hit the ground / Bang Bang / That awful sound / Bang Bang / My baby shot me down. » Comme un ironique résumé de l’œuvre de Puccini, racontée, tout au long de la soirée par une chanteuse – ce qui nous vaut un final en forme de pirouette – dans une intelligente mise en abyme. Le ton est donné… Jette Steckel va ensuite faire éclater le cadre temporel d’un des opéras les plus historiquement déterminés du répertoire, puisqu’il est supposé se dérouler entre le 17 juin 1800 (lorsque la nouvelle de la victoire française de Marengo arrive à Rome) et l’aube du 18. Moins d’une journée où l’amour, la mort, le chantage et l’honneur se mêlent indissolublement. Et cette décontextualisation fonctionne. La matière dramaturgique du livret, presque un « roman policier » pour la metteuse en scène (née en 1982), se prête en effet particulièrement bien à la plongée opérée dans la psyché des personnages.
Le drame se déroule dans un décor contemporain et intemporel à la fois, où d’immenses colonnes noires mobiles créent des espaces sobres et changeants où sont parfois projetées des vidéos illustrant l’action. Mario Cavaradossi (Maxim Aksenov, parfait de précision et de fraîcheur) est un vidéaste qui, dans le premier acte, filme un modèle nu écartant les bras dans une position christique sous une croix de néon rouge, tandis que Tosca (Claire Rutter dont la présence scénique est impressionnante et incandescente) est une chanteuse d’aujourd’hui, dont l’incarnation tatouée est portée par la baguette ardente de Giuliano Betta qui fait merveille à la tête d’un Sinfonieorchester Basel des grands soirs. Quant à Scarpia (Simon Neal, aussi torve qu’il sied d’être), il ressemble à la caricature d’un leader fasciste entouré de sbires inquiétants entrant sur la scène en passant par la salle, ce qui génère un sentiment de malaise. Sa présence maléfique semble bombarder tous les autres protagonistes d’ondes méphitiques permettant à la tragédie, ici décrite au plus près des âmes, de déployer ses ailes sombres.
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