Elizabeth LeCompte monte Vieux Carré de Tennessee Williams au TNS
Pionnier du théâtre expérimental américain, The Wooster Group invente depuis les années 70 une écriture théâtrale fondée sur les technologies du son et de l’image. Entretien avec Elizabeth LeCompte, metteuse en scène de leur nouveau spectacle en cours de création, Vieux Carré de Tennessee Williams, en première mondiale au TNS.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce texte fortement autobiographique ?
Je ne dirais pas que j’ai été séduite. Vieux carré est comme une montagne qui me faisait face. Je dois passer de l’autre côté. Tennessee Williams fait partie intégrante de la grande histoire culturelle mais aussi sociale de l’Amérique. Pour une personne de ma génération (elle est née en 1944, NDLR), comprendre qui je suis devenue et où j’en suis dans le monde passe par la compréhension et l’appréhension de cet auteur. Je l’ai toujours évité. J’ai toujours fait en sorte de ne pas travailler sur ses textes car il était l’apanage, des années 40 à 60, d’une certaine école de théâtre, d’un type de jeu et de mises en scène traditionnelles. De plus, il y avait une sorte de bulle autour de lui. Il était difficile de s’emparer de ses mots, de les dire sans penser aux gens qui, habituellement et de manière naturelle, interprétaient ses textes aux États-Unis. À mon avis, il n’y avait rien à en attendre de mieux, rien d’autre à explorer dans cette voie. Mon point de vue a changé en lisant ses Mémoires[1. Tennessee Williams, Memoirs, 1975. Traduction française en 1978 sous le titre Mémoires d’un vieux crocodile]. Je voulais comprendre ce qui a paru si mauvais à tant de critiques dans ce qu’il essaya de faire après les années 60.
À quelques années d’une fin de vie quasiment dans l’anonymat, il ressent le besoin de raconter dans Vieux Carré, le passage de sa vie (à la fin des années 30) où il se découvre artistiquement et s’assume, notamment, dans son homosexualité. C’est ce à quoi vous avez envie de vous confronter ?
Nous sommes une compagnie de théâtre composée d’acteurs, de performeurs. Le Wooster Group ne caste pas d’autres comédiens pour un rôle comme le font habituellement les compagnies. Il est donc nécessaire de dénicher un matériau théâtral dans lequel chacun de nous peut entrer. Vieux Carré contient des personnages et une part autobiographique très intéressants. J’ai déjà beaucoup utilisé et développé par le passé cette forme d’écriture, notamment dans les premiers monologues de Spalding Gray[2. Spalding Gray (1941-2004) est l’un des co-fondateurs du Wooster Group en 1975. Elizabeth LeCompte se servait alors de ses monologues pour ses premières performances]. Je pense continuer à chercher dans cette voie, à creuser une nouvelle manière d’appréhender et d’aborder la part autobiographique de cette pièce, mêlant notre histoire à celle de l’auteur.
Il écrit Vieux Carré au milieu des années 70, à une époque où le milieu artistique gay était très actif politiquement. Le contexte d’écriture de la pièce influence-t-il vos choix de mise en scène ?
Inévitablement, car j’ai débuté dans ces années-là. Des gens comme Andy Warhol et ceux de The Factory comptaient et comptent toujours beaucoup pour moi. Je suis sûre que cette proximité a influencé mon choix de faire cette pièce. Il y a aussi une sorte de nostalgie de cette époque d’engagement politique et culturel. Se questionner sur les liens entre cette décennie et le milieu gay et undergound d’aujourd’hui, sur ce que font les artistes gay actuels et sur ce que nous-même faisons.
Le Wooster Group est connu pour ses expérimentations sonores et visuelles. Que nous réservez-vous ?
Le défi est de se confronter à ce livre en utilisant nos outils technologiques actuels, notre dramaturgie. Elia Kazan avait réussi à se glisser au plus près de Tennessee Williams en réalisant Un tramway nommé désir, un chef-d’œuvre.
Le sentiment de solitude, les rêves d’ailleurs, les désirs de liberté et d’émancipation sociale – mais aussi sexuelles – sont les principales préoccupations des personnages. Autant de thèmes à creuser ?
Je tends à découvrir cela en travaillant et en testant les choses sur le plateau. Pour moi, le texte ne constitue pas l’image entière d’une pièce. Il est une carte en une dimension qui deviendra magnifique quand elle fleurira en étant jouée sur scène. Mais pour arriver à cette troisième dimension, je dois explorer le cœur de la pièce. Et je ne sais pas encore ce que nous allons y trouver car le ressenti et le vécu des 10 ou 15 personnes associées à cette création comptent. Pour tout vous dire, je chercherais probablement encore toute l’année qui vient après la première représentation ce qui me meut intimement dans cette confrontation à ce texte et à cet auteur.
N’êtes-vous pas triste de ne venir que quelques jours en création à Strasbourg au lieu des trois semaines initialement prévues ?
Si, car il est toujours mieux de n’avoir qu’à nous concentrer sur la pièce et la finalisation de sa création sans les soucis du quotidien à gérer. Mais la première aura tout de même lieu à Strasbourg. C’est le plus important. Nous verrons le plus gros du travail éclore.