Que ma joie demeure
Temple de la haute cuisine végétarienne, Joia invite à une expérience sensorielle exceptionnelle. Visite à Milan, dans le royaume enchanté du chef helvète Pietro Leemann.
Dans le pays natal du mouvement Slow food, se niche une adresse où la nourriture est transfigurée. Premier restaurant végétarien étoilé au Guide Michelin en 1996, le bien nommé Joia propose un parcours gustatif d’essence spirituelle. Tenu depuis trente ans par le chef suisse Pietro Leemann – qui s’est notamment formé chez deux légendes, Frédy Girardet et Gualtiero Marchesi –, il s’agit d’un lieu où règne l’harmonie dans une salle épurée décorée d’une statue polychrome de Krishna… mais aussi en cuisine : « Je n’aime pas le terme de brigade, comme à l’armée. Certains souhaitent rassembler de véritables soldats, des gens qui pensent de la même manière. Ici c’est le contraire : chacun travaille avec son esprit, sa générosité, apportant sa manière de voir le monde. »
Converti à l’hindouisme, le chef qui a beaucoup baroudé en Asie – et bénit chaque plat ce qui contribue, selon lui, à rehausser son goût – est un maître de l’harmonie, développant des goûts d’une belle pureté et d’une intense douceur grâce à une relation à la nature « simple, presque naïve », sourit-il, ajoutant : « Je cherche à donner à la nourriture une sacralité, car ce qu’on mange est très précieux. Comme cuisinier, j’ai une responsabilité. » Ses plats aux noms poétiques se découvrent dans une félicité non feinte comme A Doorway to Heaven – faux œuf parfumé à la truffe servi avec un gaspacho à la noix de cajou – ou The Navel of the world, craquant et graphique risotto aux asperges et herbes dans lequel le safran danse avec élégance le twist avec la tomate sur un fond groovy et délicat de poivre de Sarawak, dont la puissance se drape dans des vapeurs citronnées. L’expérience devient mystique avec le bien nommé Anima Mundi dont la simplicité des ingrédients masque une jubilatoire mosaïque de goûts comme dans les meilleures réalisations d’Alain Passard. Dans cette tarte aux pommes de terres, lentilles et orties alternent les strates d’herbes et de fraises récoltées dans le potager maison d’Abbiategrasso (aux portes de Milan) : posé sur la surface liquide bicolore de deux sauces formant un tableau psychédélique – l’une à la harissa et aux cacahuètes est à se damner – l’ensemble est un monument de délicatesse aérienne.
Joia se trouve Via Panfilo Castaldi, 18 (Milan). Restaurant fermé samedi midi et dimanche. Menus de 90 € à 130 €
joia.it