Les tempêtes de l’âme : Providence de Shannon Wright
Chanteuse des plaies intimes, l’américaine Shannon Wright défend Providence, un piano-voix déchirant de grâce et de douleur.
Habitée, Shannon Wright l’est tout entière. Depuis plus de vingt ans, la prolifique musicienne folk rock chante et compose avec l’intensité viscérale de celle dont la vie en dépend. Sans compromission FM aucune. Jamais. Quitte à vivre chichement, voire même à penser parfois abandonner sa carrière, comme après le premier album de son groupe Crowsdell en 1998, ou bien encore au printemps 2015, à la fin d’un concert en Suisse. Ce soir-là, il aura fallu toute la force de conviction et les félicitations appuyées d’une grande pianiste française sexagénaire – venue discrètement l’écouter – pour rallumer le feu de l’éternelle torturée floridienne. Le Steinway de Katia Labèque a d’ailleurs accompagné en studio les troubles de la songwriteuse Shannon Wright sur certains titres de son douzième opus, Providence, construit autour d’un duo piano-voix où les cordes frappées dégagent une rare puissance. Délaissant ici la guitare à vif qui fait sa marque de fabrique, brisant son alternance habituelle entre ballades intimistes (parfois optimistes) et riffs colériques de rock noisy, la native de Jacksonville livre sept tracks proches du sublime, de ceux qui vous emportent l’âme dans une tempête d’émotions cycloniques, vous bercent et vous transpercent à la fois.
Dès le morceau d’ouverture, Fragments, le ton est donné. La fragilité prend le pas, se laisse guider par les notes somptueuses, tantôt douces et délicates tantôt charnelles et frappées avec la véhémence d’un staccato passionné. Sur These Present Arms, le chant spectral et obsédant de la jeune femme semble tournoyer autour de la ligne de piano, dans une atmosphère crépusculaire. Shannon Wright appartient à la lignée prestigieuse mais dangereuse des chanteuses à la Janis Joplin ou Amy Winehouse, qui ne trichent pas, se projettent à corps perdu dans leur musique, la voix toujours prête à sombrer, au bord du gouffre. Particulièrement appréciée en France, cette hypersensible besogneuse et intransigeante – dont on avait adoré la collaboration avec le breton Yann Tiersen en 2004 – impressionne tant par sa maîtrise du clavier que par ses textes à l’intensité d’un exutoire. « There’s no need/Noneedtoask/Wearetied/ Wearebound/Ifitwasyouthatcry» (Pas besoin / Pas besoin de demander / Nous sommes liés / Nous sommes enchaînés / Si c’était toi qui pleurais), exhorte-t-elle comme une supplique sur le prodigieux Somedays. Personne ne ressort indemne de l’écoute d’un album de Shannon Wright ; encore moins d’un de ses concerts. L’ardeur est gravée en elle, dans son jeu, dans sa voix. Il y a toujours quelque chose de l’ordre de la catharsis qui opère. En studio, c’est tout simplement beau… En live, ça prend aux tripes !
À la BAM (Metz), samedi 20 novembre
citemusicale-metz.fr
Édité par Vicious Circle
viciouscircle.fr