Presque célèbre
Super ! En 2016, Mathieu Boogaerts fêtait les vingt ans de son premier disque. À l’occasion de la tournée accompagnant son nouvel album, beau comme un chuchotement fait à l’oreille de l’auditeur, entretien avec un Promeneur du soir rêvant de sortir de l’ombre.
Le premier morceau de Super se nomme Qu’en est-il, annonçant l’heure du bilan. Que retenez-vous de vingt ans de carrière ?
Le matin, il m’arrive souvent de me réveiller en me réjouissant de la chance que j’ai de faire de la musique. Je n’ai jamais fait de concessions et en suis très fier… mais je ressens aussi une certaine frustration : pourquoi suis-je si confidentiel, pas plus populaire ?
Vous ressentez de la rancœur ?
Oui, ne saisissant pas pourquoi je ne connais pas davantage de succès, à l’image de… Marc Lavoine par exemple. Je sais, ça vous paraît bizarre, mais ado, c’est à ça que j’aspirais : être écouté de tous, même des grand-mères et des ménagères. Mes chansons sont bien ciselées et évoquent des sentiments universels : je pourrais vendre autant que Biolay. Ça m’énerve de ne pas comprendre !
Vous n’allez tout de même pas changer de recette pour toucher un plus grand public ?
Non, avoir du succès avec des chansons qui ne me ressemblent pas n’aurait aucun intérêt. De toute façon, très vite je suis rattrapé par l’aspect positif : je peux vivre de ma musique tout en n’ayant à rougir de rien.
Sans le savoir, le grand public vous connaît bien, via vos collaborations. Le disque de Luce que vous avez composé, Tu vois c’que je vois de Vanessa Paradis ou le morceau écrit pour Radiostars : même interprétés par d’autres, vos titres sont immédiatement reconnaissables…
C’est un compliment car un artiste cherche toujours à trouver son style, à proposer quelque chose qui n’existe pas encore, à ne pas faire comme son voisin. Il y a vingt ans, j’ai écrit la chanson Super qui se trouve sur mon premier album : enfin un morceau vraiment pertinent, qui me ressemblait ! J’ai ensuite peaufiné ma manière d’écrire à partir de là. J’ai l’impression que toutes mes chansons sont très différentes les unes des autres, mais je tourne sans doute autour de quelque chose. Chaque auteur / compositeur, Souchon par exemple, a deux ou trois thèmes qui lui trottent dans la tête et qu’il a besoin de formuler en musique. Il y a plusieurs façons de raconter la même chose : rapidement ou lentement, avec le sourire ou en larmes, en bois ou en métal.
Votre originalité vient de l’importance que vous accordez à la sonorité des mots…
Oui, mais je commence toujours par une petite mélodie, une musique qui va m’exciter et m’émouvoir. Très vite, je vais greffer des mots dessus et ensuite dérouler le fil.
Je vous imagine travailler la nuit…
Oui, sur mes deux premiers disques, mais depuis dix ou quinze ans, ayant une vie à côté et de plus en plus de mal à me remettre d’une nuit blanche, j’évite. Cependant, j’ai toujours un carnet à côté de mon lit : j’y note des “solutions” qui me viennent durant les périodes d’insomnies.
Vos morceaux se présentent dans le plus simple appareil : rien ne dépasse, pas une note superflue, pas un mot inutile ou plus haut que l’autre. Est-ce compliqué de faire simple ?
Je cherche une pureté qui nécessite des heures et des heures de travail. La fluidité tant recherchée enfin trouvée, elle est gravée dans le marbre. C’est comme une formule magique. Je suis incapable de livrer quelque chose de non fini, d’alambiqué.
Vous êtes à la quête du “moins”, mais aussi du “mieux” : êtes- vous quelqu’un de très organisé ?
Je suis très structuré, avec des listes partout, un agenda tenu à jour. Ceci permet de m’octroyer du temps pour développer une chanson. J’ai besoin d’un moment exclusif, de concentration extrême pour ça.
Dans le documentaire Mais comment t’as fait, Mathieu Boogaerts ?*, on voit que vous collectionnez des photos d’identité prises un peu partout dans le monde. Ça ne sert à rien vu qu’on ne voit pas le contexte, seulement votre tête et le rideau du photomaton…
[Rires] J’ai commencé à faire ça en Inde dans les années 1990. À l’époque, tous les appareils qui ne servaient plus à rien en occident étaient envoyés là-bas. J’en ai fait à Bombay, puis en Afrique et je me suis pris au jeu. J’aime l’idée de voir mon visage évoluer.
Vous êtes collectionneur ?
J’ai une centaine de “super” : ça va de la bouteille de whisky au couteau en passant par la boîte de capotes ou au boomerang. Ça a débuté par une paire de chaussures achetée en Côte d’Ivoire. Depuis, je ne refuse jamais un “super” !
Qui est le Méchant de votre dernier titre ?
Je me sens tout à la fois : gentil et méchant, fort et faible, beau et moche, jeune et vieux, riche et pauvre. Ça dépend des moments de ma vie ou de l’heure de la journée, des gens en ma compagnie. Dans une chanson, j’incarne toutes les personnes, celle qui s’exprime et celle à qui elle s’adresse. Ce sont des situations que je décris. En l’occurrence, cette chanson m’est venue après les attentats de Paris : il ne s’agit pas d’un texte sur le terrorisme, mais sur le fait d’être le bourreau ou la victime de quelqu’un.
Le Merci à la fin de l’album est-il celui d’un athée à Dieu ?
Il y a de ça : je dis « merci à je ne sais qui ». Je ne crois pas en Dieu, mais j’ai eu envie de me faire tout petit face à la nature, à toute cette beauté, cette richesse à laquelle j’ai accès. Mes chansons interrogent les choses plutôt que d’affirmer une réalité. Je pose beaucoup de questions et n’apporte pas de réponses. Je ne prends pas parti, car je ne sais pas… « Ondulé, par-ci par-là luné. Pas les idées bien installées. »
Rien de mieux que l’autocitation…
[Rires] Oui, j’erre et je doute sans cesse. En 1998, je sortais mon second disque que je trouvais beaucoup mieux que le premier, mais qui a déçu tout le monde : ma maison de disque, la presse, ma famille, ma copine… Depuis ce moment là, je me suis dit : « N’anticipe pas ce que les gens vont penser car tu n’en as pas une idée ! Tu imagines que le son de ta guitare va les séduire, mais en fait c’est ta façon de danser… »
Vous ressentez un besoin vital d’être entendu, voire admiré ?
C’est un processus assez inconscient, mais voici mon hypothèse : on ne m’a pas assez écouté, petit. J’ai eu un déficit de communication qu’il me faut encore combler.
Vous rêvez de passer chez Drucker ?
Pour sortir de la confidentialité, oui. Il y a deux semaines, j’ai été invité en prime time sur France 5 dans La Grande Librairie pour une spéciale chanson avec Eddy Mitchell, Alain Souchon, Véronique Sanson, Mathias Malzieu et Olivia Ruiz. Je me faisais une joie de pouvoir m’exprimer mais on m’a demandé de faire une reprise, on m’a posé deux questions hyper bateau à la con et m’a même coupé la parole. Ça m’a déprimé d’être là, au milieu de tous ces gens qui squattent les plateaux télé depuis des décennies… Pourquoi n’aurais-je pas droit, moi aussi, à avoir dix minutes pour m’exprimer ?
Photos de Thibault Montamat
Au Point D’eau (Ostwald), vendredi 17 février Aux Trinitaires (Metz), samedi 18 février Au Grillen (Colmar), samedi 25 février www.grillen.fr – www.lezard.org À L’Atheneum (Dijon), jeudi 23 mars
Promeneur, édité par Tôt ou Tard
www.totoutard.com
six feet under
Avec La Souterraine (sorties de disques, concerts…), Benjamin Caschera met en lumière la “french & francophone pop underground”. Lors d’un show souterrain aux Trois Baudets parisien, il tape la discute avec des gens du label Tôt ou Tard (Vincent Delerm, Yael Naim…) et fait germer l’idée d’une confrontation jeune garde de la chanson française / répertoire de Boogaerts. « Plein d’artistes d’aujourd’hui citent Katerine, Dominique A, mais aussi Mathieu Boogaerts », confie Benjamin. « Nous avons rencontré beaucoup d’enthousiasme lorsque nous avons évoqué le projet avec Ricky Hollywood, O ou Barbagallo », faisant partie de la liste des participants aux 10 Ritournelles autour de Mathieu Boogaerts, des reprises proposées encore par Adrien Soleiman, Cléa Vincent ou Nicolas Michaux. Un hommage, une « vision » originale (pas de “tubes”) du catalogue de l’auteur de Super qui réjouit l’intéressé et le flatte, même s’il aurait préféré « L’Aérienne à La Souterraine ».
Compilation téléchargeable (prix libre) ou disponible en vinyle (16 €) sur le site de La Sourterraine
* À visionner sur le site de Mathieu Boogaerts www.mathieuboogaerts.com