Temps fort initié par Le Maillon et le TJP, Les Narrations du futur invitent à rêver tout haut à des lendemains meilleurs malgré les soubresauts d’un présent qui peine à passer.
« Les humains n’ont jamais engagé de grandes transformations sans imaginaire, sans récits à se raconter à soi-même et aux autres. » C’est par ces mots que Renaud Herbin et Barbara Engelhardt cadrent leur première collaboration d’ampleur. 10 jours de spectacles dont 5 créations, accompagnés de laboratoires, rencontres, ateliers et plateaux radio (voir encadré) visant à élargir nos imaginaires comme à décloisonner nos modes de pensée. Parmi ces bien nommées Narrations du futur, plusieurs habitués des scènes strasbourgeoises à l’instar de Philippe Quesne1. Il renoue avec son amour des groupes de musique pour le moins insolites dans Farm Fatale (19 & 20/06, Maillon, en anglais, surtitré en allemand et en français). Après les hard-rockers en panne de voiture dans un paysage enneigé de La Mélancolie des dragons, ou ses taupes géantes et attachantes (L’après-midi des taupes et La Nuit des taupes), le plasticien et metteur en scène initie un quintet punk d’épouvantails animant une sorte de radio pirate indépendante. Entre bottes de paille et fourches, ils s’inventent des slogans (No nature, no future!) et philosophent, attentifs comme personne aux pulsations de la planète. Derrière les voix déformées de ces clowns contemplatifs se cachent trois acteurs de la troupe permanente du théâtre des Kammerspiele de Munich et deux interprètes fidèles de Philippe Quesne. La gentillesse de ces bonshommes de paille, attachants et drôles, se fait désarmante. Une manière de faire passer en douceur leur utopie de doux rêveurs un brin poètes, bien décidés à échapper au capitalisme déchaîné et à sauver collectivement les vies de ce qui grouille et pense, tout autour de nous.
Face aux éléments…
Autre artiste, bricoleur de génie et inventeur de spectacles inclassables, Pierre Meunier2 s’en revient avec Marguerite Bordat. Leur Terairofeu (20-23/06, TJP grande scène, dès 6 ans) balaie les quatre éléments, devenues des menaces toxiques pour les jeunes générations actuelles. Le duo de la compagnie La Belle Meunière souhaite réenchanter le monde en lui opposant une rêverie active. Son théâtre sensible et symbolique présente le destin d’une fille et d’un garçon au milieu d’un monceau de matériaux usés. Ici, tout s’invente à vue, dans le plaisir partagé de voir naître les choses d’un rien. Ils s’en servent pour fabriquer de quoi s’étonner l’un l’autre avec une inventivité joueuse, tirant nos sens de leur léthargie : une fine bâche plastique crée ainsi l’illusion d’une tempête en mer, des débris permettent d’ériger un moulin à vent…
… et à l’histoire
Couple d’artistes, Coco Petitpierre et Yvan Clédat n’en finissent pas depuis quatre décennies d’interroger les espaces d’exposition et scéniques en mettant leurs propres corps en jeu. Dans des costumes à habiter, ils se font Baigneurs d’un jour en tulle ou donnent vie dans Les Merveilles (25-27/06, Maillon, dès 8 ans) aux peuples fantasmagoriques qui hantaient les imaginaires antique et médiéval, comme en témoignent Ovide, Pline l’Ancien ou encore Marco Polo. En partant de leurs écrits, le duo de plasticiens, performeurs et metteurs en scène donne vie et corps à ces monstrueuses créatures qui émerveillaient nos ancêtres dans des récits de lointains et dangereux voyages. Le biotope sculptural et sonore qui s’active sur fond de paysage verdoyant défie tout ce qui nous est connu. La tribu, dont la corporalité des membres est pour le moins perturbante, regroupe un Panotii aux oreilles géantissimes dans lesquelles on pourrait s’endormir, un Sciapode à pied unique et protubérant qui lui sert d’ombrelle, mais aussi un Blemmye étrangement acéphale, le visage porté sur un torse musculeux. Nous voilà dans un long rêve éveillé défiant l’ordinaire et la normalité. De l’Histoire, il est aussi question pour Hubert Colas. Le directeur de Montévidéo, centre de création dédié aux écritures contemporaines à Marseille, devait venir créer Superstructure de l’autrice Sonia Chiambretto, au Théâtre National de Strasbourg, en janvier3. C’est finalement au Maillon que nous le retrouverons pour Texte M. (19 & 20/06). Né d’une commande autour du bicentenaire de la révolte des Guadeloupéens opposés au retour de l’esclavage, ce monologue vertigineux pose une question mordante : « Contre quoi se rebeller aujourd’hui ? » Lui, dont les arrière-grands-parents étaient esclaves à Cayenne, signe un solo pour esclave affranchi, hanté par le souvenir de son asservissement. Face à sa soudaine liberté, celui qui voit les humains comme des animaux prêts à tout affronte la solitude du monde moderne depuis le fond d’un trou. Un espace scénique tout en spirale où le langage tournoie, entremêlant peurs et hallucinations dans un soliloque coloré d’ironie et d’humour.
Au Théâtre Le Maillon et au TJP (grande scène), du 18 au 27 juin
maillon.eu
tjp-strasbourg.com
1 Lire Quesne le survivant ou Taupes modèles dans Poly n°167 et 196 ou sur poly.fr
2 Voir Poly n°131 et 165 ou sur poly.fr
3 Voir Poly n°234 ou sur poly.fr