Portrait pianistique

Eric Manas

Pour sa troisième édition, Piano au Musée Würth accueille la fine fleur du clavier : parmi les invités du festival, Jean-Marc Luisada propose deux excitants rendez-vous. Entretien.

Mozart, Schumann, Debussy et Chopin : le récital que vous avez imaginé dresse-t-il les contours de votre personnalité musicale ?
Toutes ces oeuvres font partie de ma vie depuis très longtemps, sauf les Images de Debussy que je n’avais pas jouées depuis mes années à la Yehudi Menuhin School. La mélancolique Sonate en la majeur de Mozart qui ouvre le récital m’accompagne depuis de longues années et m’émeut toujours autant, à chaque fois.

Pourquoi avez-vous choisi les Davidsbündlertänze (Danses des Compagnons de David), une page rare de Robert Schumann ?
Je viens d’en livrer un nouvel enregistrement, trente ans après un premier. Un immense pan de vie est passé. J’ai vieilli, souffert, été très heureux… Je les aborde différemment aujourd’hui : l’existence s’est sédimentée dans cette nouvelle version. Ce que je jouais avec plus de folie et d’improvisation est devenu quelque chose de réfléchi. Je pense être plus proche d’une certaine sérénité, désormais.

Comment décrire cette pièce ?
Ces danses sont celles de l’âme schumanienne. Il imagine ces morceaux avec une visée quasiment psychanalytique, pour mettre un peu de calme dans son esprit torturé. Même s’il ne s’agit que de l’opus 6 du compositeur, l’oeuvre est de la plus haute inspiration.

À propos des Images que vous interprétez, Debussy écrivit à son éditeur : « Je crois que les trois morceaux du premier cahier (…) prendront leur place dans la littérature de piano à gauche de Schumann ou à droite de Chopin… As you like it. » Comme dans votre récital…
Ces deux livres sont des chefs-d’oeuvre absolus ! Ils constituent le point de départ de la musique moderne et sont quasiment contemporains dans l’agencement des corps sonores. Il n’y a pas de fausse modestie dans la phrase de Debussy que vous citez !

Après ces oeuvres exigeantes, vous proposez deux “tubes” de Chopin, compositeur auquel le public vous associe spontanément après votre succès au Concours de Varsovie (1985) et de nombreux CD faisant référence… Où en êtes-vous avez lui ?
C’est mon pain quotidien, mais je considère aujourd’hui ses partitions d’une difficulté bien supérieure qu’il y a vingt ou trente ans. Il faut jouer Chopin extrêmement simplement – tout comme Mozart – et trouver une sonorité romantique : ce n’est pas dans le tempo, ni dans la pulsation que réside la “solution”, mais dans le son qui doit être chaud, cuivré, chaleureux et vibrant. C’est ainsi que vous chavirez. Il ne faut presque rien faire. Évidemment, pendant des années j’en ai fait beaucoup. Trop. Au fil des ans, je me suis aperçu de l’inutilité de cela ! La beauté est là. Il ne sert à rien de transformer Chopin !

Passionné par le septième art, vous proposez aussi une soirée Cinépiano, mon amour : en quoi cela va-t-il consister ?
Je vais présenter, en une vingtaine de minutes, La Valse dans l’Ombre de Mervyn LeRoy qui sera projetée. Pour moi, il s’agit de l’un des films américains les plus importants des années 1930 et 1940 avec Autant en emporte le vent, Le Roman de Marguerite Gautier, Les Hauts de Hurlevent et Madame Miniver. Ce mélodrame où éclate le talent de Vivien Leigh et Robert Taylor me bouleverse aux larmes. Ce film, qui est d’une immense tendresse, me brise le coeur : c’est pourquoi je vais jouer les Trois Intermezzi, opus 117 de Brahms qui entrent en résonance avec lui à la perfection.


piano pluriel
Désormais chargé de la direction artistique du festival Piano au Musée Würth, Olivier Érouart a souhaité placer cette troisième édition sous le signe des Générations, nous entraînant des virtuoses en herbe, encore étudiants à la Hear (avec un excitant trio piano, clarinette, alto, 10/11, 17h), au très confirmé Philippe Entremont (18/11, 20h) pour un programme Bach / Beethoven / Schubert où l’octogénaire qui a connu Stravinsky, Bernstein, ou Milhaud, montrera son éternelle jeunesse. Aussi au programme la star André Manoukian (17/11, 20h) pour un étonnant voyage sonore. Le piano montrera en outre toutes ses facettes : chambriste, jazzistique, romantique… Notre coup de coeur ? L’exquise Maria Kustas (11/11, 11h), lauréate de Piano Campus qui fera se rencontrer Bach et Albéniz, Liszt et Ginastera.

Au Musée Würth (Erstein), du 9 au 18 novembre musee-wurth.fr 


Au Musée Würth (Erstein), vendredi 9 (récital) et samedi 10 novembre (Cinépiano, mon amour) à 20h

jeanmarcluisada.com

musee-wurth.fr

Retrouvez Jean Marc Luisada dans un Opus Piano sur la radio Accent 4 enregistré en direct du Musée Würth (10/11, 10h)

accent4.com 

Paru chez RCA Red Seal

sonymusic.fr

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