Poésie grande
Après la très belle exposition dédiée à Freddy Ruhlmann fin 2012 à la Région Alsace paraît une impressionnante monographie de l’artiste.
Plus de 200 pages orchestrées avec rigueur et passion par Marie-Paule Urban-Ruhlmann : voilà comment se présente le beau livre qu’elle a consacré à son époux disparu il y a dix ans, Freddy Ruhlmann (1941-2004) afin de mieux faire connaître l’œuvre protéiforme d’un homme qui fut peintre, sculpteur, designer ou encore graphiste. On le connaissait notamment comme le créateur de l’identité graphique du Rhénus ou le concepteur d’assiettes à l’élégance racée. On le découvre transformant les objets du quotidien en véritables œuvres d’art et – surtout – dessinateur, sculpteur et peintre. Discret, peut-être trop, il passait des heures dans son atelier, dressant inlassablement les contours d’un univers plastique profondément humaniste où médiums et techniques se mêlent dans un tourbillon poétique : « Encres transparentes, encres acryliques et cire diluée, bitume de Judée et pâte d’acier, crayon gras, mine de plomb et collages, toutes matières traitées, pour construire l’espace-couleur en accord parfait avec la texture, la valeur visuelle du support brut ou retravaillé », écrivait-il en 1996. Ses influences sont multiples : Edvard Munch (avec un Cri à l’abyssale beauté), Jean Cocteau, Nicolas de Staël, le Festival d’Avignon (Le Soulier de satin de Claudel mis en scène par Antoine Vitez lui inspire une remarquable série) ou encore la musique de Messiaen.
Tout cela est intériorisé et ressort de son atelier obernois en flots chromatiques joyeux marqués par un puissant lyrisme. On demeure particulièrement touchés par la puissance d’émotion qui jaillit d’œuvres “italiennes” – évoquant Venise ou Sienne –, d’étonnantes abstractions géométriques sur lesquelles flotte parfois l’ombre amicale de Vieira da Silva. Une tête de profil revient de manière obsessionnelle dans les peintures et les sculptures, une “signature” qui se retrouve, comme un relief, dans l’ardoise, à peine esquissée sur le papier, stylisée, réduite à ses traits essentiels, dans les dorés Témoins du siècle et du millénaire mais aussi rayonnante de bonheur dans le cristal, une matière que Freddy Ruhlmann dompte avec élégance : « Tout est chorégraphie gestuelle maintenant l’équilibre fragile entre les impératifs de la matière et le désir tenace de construire la beauté dans ses formes les plus parfaites… Les maîtres-verriers de Saint-Louis soufflent, étirent, taillent, créent ainsi depuis des siècles les plus belles transparences » écrivit-il en 1981. Ce livre – un beau cadeau pour les Fêtes – nous entraîne dans les multiples méandres de la création d’un artiste qui mérite d’être (re)découvert.