Plastique & lyrique

Ernest Klausz, La Damnation de Faust, maquette de décor, 1933, Paris, BNF © Remy Klausz

À Metz, la monumentale exposition Opéra Monde explore les multiples modalités de la rencontre entre plasticiens et art lyrique aux XXe et XXIe siècles.

Immense, le hall du Centre Pompidou est tout entier occupé par un gigantesque gorille, colossale sculpture – la plus grande jamais réalisée par les Ateliers de l’Opéra de Paris – représentant King Kong, conçue par Małgorzata Szczęśniak pour la mise en scène signée Krzysztof Warlikowski de L’Affaire Makropoulos de Leoš Janáček (à Bastille, en 2007). Mascotte et étendard de l’exposition, elle illustre la volonté de son commissaire, Stéphane Ghislain Roussel, « de montrer comment l’opéra convoque toutes les disciplines artistiques à travers des esthétiques contrastées et semble répondre à un véritable désir de l’œuvre d’art totale », la fameuse Gesamtkunstwerk dont les contours furent imaginés par Wagner.

Espaces opératiques
Dans un parcours revendiqué non exhaustif, imaginé « comme un grand opéra composé en actes, qui se déploient en plusieurs temps », résume le commissaire de l’exposition, se découvrent maquettes, costumes, éléments de scénographie, images et sons. Il débute avec les scènes colorées peintes en 1914 par Natalia Gontcharova pour Le Coq d’or de Rimski-Korsakov : convaincue que « l’agrandissement d’un tableau de chevalet, porté à l’échelle de la scène, ne fera jamais un décor », mais aussi que « la création en matière de décoration théâtrale autorise tout anachronisme, toute déformation, toute reconstitution, toute invention », elle crée une étonnante synthèse montrant des villes rougeoyantes, entre Art moderne et imagerie folklorique moscovite, pour les Ballets russes. Ces images entrent en résonance avec la vidéo de Clément Cogitore qui achève la déambulation : imaginée pour la 3e Scène (numérique) de l’Opéra de Paris, elle montre une battle de krump sur la Danse du Grand Calumet de la Paix exécutée par les Sauvages, tirée des Indes galantes de Rameau. Depuis, le plasticien a mis en scène l’intégralité de l’œuvre avec un vif succès… Si ces deux pièces sont les bornes temporelles symboliques du parcours, elles encadrent de belles (re)découvertes, des vidéos hiératiques de Bill Viola pour Tristan und Isolde de Wagner à l’onirisme esthétisant de Romeo Castellucci dans sa mise en scène de Moses und Aron de Schönberg (dont est présenté un saisissant élément de décor), en passant, évidemment, par la collaboration devenue culte entre Robert Wilson et Philip Glass pour Einstein on the Beach.

Bill Viola, L’Ascension d’Isolde, 2005, Turin, Fondazione per l’Arte moderna e contemporanea CRT, photographe : Kira Perov © Bill Viola Studio LLC

Espaces méditatifs
Au fil des actes / salles se succèdent des espaces monographiques consacrés à des œuvres emblématiques, que ce soit La Flûte enchantée de Mozart (vue par Kokoschka ou William Kentridge) ou l’invraisemblable Saint-François d’Assise de Messiaen passé au prisme de l’actionnisme viennois. Dans la production munichoise de 2011 (dont sont présentés projections et costumes), Hermann Nitsch tisse en effet un lien entre sa théorie des couleurs et des sons et la mystique synesthésique du compositeur. L’exposition permet aussi de mieux connaître des figures comme Christoph Schlingensief, metteur en scène iconoclaste (son Parsifal à Bayreuth demeure dans la mémoire de tous les lyricomanes) qui débuta en 2009, la construction d’un “village opéra” au Burkina Faso, regroupant théâtre, école, hôpital, etc. qui fait voler les conventions en éclats. Autre utopie, celle imaginée conjointement par le compositeur Pascal Dusapin et le plasticien James Turrell pour To Be Sung (1994), où la scène est métamorphosée en installation lumineuse et sonore. Le visiteur est convié à entrer dans Red Eye, œuvre représentative du travail de l’artiste l’entraînant dans un autre univers, un ailleurs indéterminé qui laisserait à penser qu’il vient de pénétrer dans un tableau de Mark Rothko, où les frontières spatiales sont abolies. Selon le philosophe George Didi-Huberman, « James Turrell s’est intéressé très tôt à la notion de Ganzfeld utilisée en psychologie expérimentale de la vision. L’expérience du Ganzfeld est pour l’objet celle d’une lumière qui impose progressivement son atmosphère, puis sa masse et sa compacité, enfin sa tactilité. » Perdus tout d’abord, puis apaisés et méditatifs, nous voguons dans un espace chromatique vibratoire se modifiant avec douceur.


Au Centre Pompidou Metz, jusqu’au 27 janvier
centrepompidou-metz.fr

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