Planète Paris
Sous le titre Revoir Paris, François Schuiten et Benoît Peeters proposent un album et une exposition. Nous avons rencontré le duo lors de son passage strasbourgeois, à la Librairie Kléber.
On les connaissait comme créateurs d’un fascinant univers parallèle en bande dessinée dont les fondations avaient été imaginées en 1983 avec Les Murailles de Samaris. Des Cités obscures à la ville lumière, il n’y avait qu’un pas qu’ils ont allègrement franchi cet hiver : le dessinateur François Schuiten et le scénariste Benoît Peeters se sont retrouvés après une éclipse de cinq ans pour un voyage à Paris où les strates temporelles entrent en collision. Kârinh – une des plus charmantes héroïnes nées du crayon du premier nommé – a vu le jour dans L’Arche, colonie lointaine fondée par les habitants de la terre… qui n’ont plus aucun lien avec la planète bleue. Nous sommes en 2156 et la jeune fille rêve d’un endroit qu’elle ne connaît pas. Coup de chance, cette “déviante” (refusant de se conformer au modèle social et familial mis en place par des exilés aux allures totalitaires) a été choisie pour commander le Tube : en route pour la terre, le vaisseau spatial transporte d’autres humains en hibernation, tous âgés. « Elle a reconstitué Paris dans son esprit à partir d’images éparses » explique Benoît Peeters : « Aucune connexion de type Internet n’a survécu et rien de ce qui était dématérialisé ne subsiste. À sa disposition se trouvent ainsi des livres et des images de bric et de broc, récupérés ça et là, dont elle ne connaît pas le degré de réalité. Elle s’invente donc son Paris, un Paris utopique. On peut du reste la définir comme une “utopiomane”. » Entre paysages réels très XIXe siècle – comme les Galerie Vivienne ou Véro-Dodat – et délires onirico-prospectifs tout droits sortis de l’univers d’Albert Robida, c’est « plus un récit d’anticipation d’une bande dessinée de science-fiction. Nous invitons le lecteur à pousser les portes du possible » complète-t-il. Et de souligner le caractère paradoxal de la BD, déjà présent dans son titre (comment en effet revoir quelque chose qu’on ne connaît pas ?) : « Il s’agit d’une plongée vers le passé dans un récit futuriste. » Pour François Schuiten, « cette histoire est avant toute une affaire de désir, de fantasme, montrant tout ce qu’un être peut projeter sur Paris. C’est une ville rêvée pour l’immigré qui imagine que tout va changer à son arrivée. C’est pareil pour le provincial qui “monte à” la capitale. Cela permet de ramener de l’envie dans la ville, de ne pas se laisser hypnotiser par le passé, le XIXe siècle en tête, pour réinventer Paris. » C’est ce que font les deux auteurs dans une BD fascinante où ils imaginent les contours de Paris dans 140 ans et quelques, entre écrans sphériques et immense gare fluviale (qui évoque curieusement de dôme imaginé par Albert Speer pour Germania).
Il n’est pas surprenant que l’album se prolonge dans une exposition à la Cité de l’architecture & du patrimoine avec le duo belge pour commissaires : la vision de Paris développée dans cet album – le premier d’un diptyque – entre alors en résonance avec des dessins d’architectes et des projets d’urbanisme conçus pour la ville depuis plus de 200 ans, de la métamorphose haussmannienne aux utopies d’Auguste Perret, en passant par les projets de Jean Nouvel. Sur un immense écran circulaire, le visiteur est convié à un voyage sur la planète Paris grâce aux technologies développées par l’Institut Passion for Innovation de Dassault Systèmes, une promenade interactive entre passé, présent et avenir autour de plusieurs sites emblématiques (Notre-Dame, la Tour Eiffel et La Défense). « Dans cette phase où les utopies sont en panne, où le Grand Paris tend à se réduire à un projet de “super métro” nous avions envie d’apporter notre pierre pour faire vivre l’utopie et continuer à rêver Paris », affirme Benoît Peeters. « Ce qui manque c’est une joie, une espérance. On a le sentiment que les choses sont figées. Cet album et cette exposition sont une manière de proposer une autre vision », complète François Schuiten.
L’exposition est à découvrir à Paris, à la Cité de l’architecture & du patrimoine (1 place du Trocadéro), jusqu’au 9 mars 01 58 51 52 00 – www.citechaillot.fr