Pièces de série
Le metteur en scène Mathieu Bauer s’inspire du modèle des séries télé américaines pour créer le premier feuilleton théâtral. Le TNS propose l’intégrale d’Une Faille, saison 1 : haut-bas-fragile[1. La création de la saison 2 a débuté avec les épisodes 1 et 2 montés par Bruno Geslin, fin janvier au Nouveau Théâtre de Montreuil et se poursuivra sous la direction de Pauline Bureau pour les épisodes 3 et 4, du 20 mai au 7 juin – www.nouveau-theatre-montreuil.com] créée au Nouveau Théâtre de Montreuil.
Fils de l’excellent André Wilms[2. Lire Ainsi play-t-il, entretien avec le comédien dans Poly n°151], Mathieu Bauer est un enfant de la balle tombé dans le théâtre tout petit, nourri à la radicalité de la fin des années 1970. S’il s’est lancé dans la “série théâtrale”, c’est pour questionner l’époque en profondeur, prendre le temps d’ausculter la société à la manière de ce qu’il considère, à juste titre, comme « la plus grande série de tous les temps », The Wire[3. Série américaine, nommée Sur écoute en VF, constituée de cinq saisons produites de 2002 à 2008 par HBO – www.hbo.com/#/the-wire], radiographie sans concession des systèmes politique, économique, judiciaire, journalistique et éducatif de la ville de Baltimore. Tous les ingrédients sont ici réunis : des scénaristes ont planché sur un découpage de l’intrigue en épisodes et sur l’évolution des personnages, une sociologue a mené une enquête de terrain avant d’écrire les textes, une équipe imaginé un décor à multiples focales. Le metteur en scène s’offre même le luxe de former un chœur, composé d’habitants dans chacune des villes de la tournée, jouant le rôle de figurants améliorés.
Huit épisodes de 26 minutes s’enchaînent, entrecoupés d’un générique en image mais aussi en musique (comme à la télé on vous dit !) pour 3h20 (entracte inclus) d’immersion dans la vie de cinq rescapés de l’effondrement d’un immeuble sur une maison de retraite. Emprisonnés sous les décombres, deux femmes et trois hommes représentant tout le prisme de la société doivent composer avec leurs peurs et désaccords nourrissant d’inévitables tensions, avec tout le temps nécessaire pour se questionner sur les causes de l’accident, les responsables et les leçons à en tirer. En surface aussi on s’affaire autour du jeune directeur de cabinet du Maire, débordé par la catastrophe, gérant comme il peut la crise, l’organisation des secours et la communication avec les journalistes qui l’assaillent de questions sur les responsabilités de la ville… sans compter les regroupements de badauds attirés par le sensationnel. Obsédé par la question du présent et la recréation d’aventures collectives, Mathieu Bauer sonde ici les vieux quartiers populaires devenus à la mode – touchés par une boboïsation rampante – à la recherche de nouvelles utopies, de réponses communes aux peurs se développant comme la gangrène : celle de l’autre, de la différence, du repli sur soi… La culture populaire réinventée au théâtre, lieu d’une possible agora d’aujourd’hui.
Théâtre en pensées, rencontre avec Mathieu Bauer animée par Magali Mougel, lundi 7 avril à 20h, au TNS