Panorama

© Jean-Louis Fernandez

Créée en 1895, l’utopie artistique du Théâtre du Peuple de Bussang poursuit son chemin avec un nouveau directeur : Simon Delétang. Fidèle aux aspirations du fondateur Maurice Pottecher, il propose une première saison estivale pleine d’audace en réunissant Büchner, Mouawad, Vitez et Molière.

Vous venez de jouer Lenz dans les villages, en parcourant les Vosges à pied, reliant Bussang à Waldersbach. Qu’est- ce que ce périple a changé en vous ?
C’est une expérience tout à fait extraordinaire pour moi comme pour les membres du Théâtre ou le public. Des gens sont venus à ma rencontre sur le chemin, marchant avec moi avant de venir me voir jouer dans leur village. Ce texte de Büchner qui se déroule dans les Vosges, dans une errance, leur a parlé, les a touchés. Plus personnellement, c’était fort de parcourir parfois 20 km avant de jouer. Un peu harassant mais très fort.

De quoi s’est chargé ce Lenz que vous jouerez aussi au Théâtre du Peuple cet été ?

D’un concret très éloigné de tout ce qu’on peut convoquer par la pensée. Ce texte-paysage déborde de sensations liées à la nature. Tous les jours je marchais au minimum quatre heures tout seul et je récitais le texte, à voix haute durant deux heures. Je me chargeais des images sensibles du jour qui m’habitaient pendant la représentation du soir. Elles correspondaient à celle de la vallée des gens qui venaient assister au spectacle. L’effort dépose la tension du jeu. J’ai joué totalement vidé, en l’état de fatigue du périple, très proche du texte. Mon intuition que ce projet aurait une vraie résonnance ici s’est confirmée, au point que nous le referons chaque année, durant deux semaines, en partenariat avec le Parc naturel régional des Ballons des Vosges. J’explorerai ainsi tout le territoire autour de Bussang et Lenz deviendra en quelque sorte le passeport de ma démarche.

Choisir pour première création à Bussang Littoral de Wajdi Mouawad est un autre geste fort…

J’ai, paradoxalement, la chance de n’avoir pas vu la mise en scène de Wajdi Mouawad, ce qui me permet d’oser monter son texte après lui. Je cherchais la pièce la plus en phase avec mon idée du Théâtre du Peuple : il fallait parler au plus grand nombre avec un poète-monde. J’avais envie d’une grande histoire épique qui touche chacun. Ici nous suivons la mort d’un père et les maux partagés de tous les personnages. Littoral n’est rien moins qu’un des plus grands textes du théâtre contemporain. J’étais encore étudiant à l’Ensatt1 en 1999 quand je l’ai découvert. J’avais été conquis par la richesse de tons employés malgré l’aspect tragique.

Vous réunissez 18 comédiens dont 12 amateurs parmi lesquels votre papa ! Vous jouerez d’ailleurs le rôle du père de Wilfried tous les deux, à différents âges…
Mon envie avec cette grande pièce était d’avoir une distribution à la hauteur des récits de vie qu’elle convoque. Plusieurs acteurs viennent d’ailleurs, un est réfugié politique en France. Ce théâtre est aussi celui de tous les peuples. Quant à mon père, il est celui qui m’a fait commencer le théâtre, qui m’a transmis cela. Je lui rends la pareille avec ce cadeau, mêlant ainsi mon histoire familiale à celle de Bussang, fondée sur les mêmes jalons. Il jouera le père mort tandis que je serais lui, à 40 ans lors de flashbacks. Un troisième comédien le jouera encore plus jeune.

La première ouverture sur la forêt en arrière plan, vous l’avez rêvée souvent depuis votre nomination ?

On rêve tous beaucoup de ce moment ! Mais j’ai choisi Littoral et pas Forêts de Wajdi Mouawad. Je me suis demandé comment convoquer la mer à Bussang avant de très vite écarter cette idée scénographiquement. J’utilise la forêt comme un principe, une manière d’ouvrir rythmiquement sur l’extérieur, à plusieurs reprises. Il est tentant d’en faire plein de choses, à l’instar de Pierre Guillois qui en avait fait une décharge pour l’une de ses pièces. Mais je garde des cartouches pour plus tard. Il y aura tout de même des animaux : le poney d’un voisin qu’on gardera surement après un essai plateau et aussi un cheval qu’on vient d’installer dans le pré pour ce chevalier qui sort de nulle part dans la pièce.

De Büchner à Mouawad, en passant par Les Molière de Vitez2, vous convoquez en une seule édition un sacré panorama du théâtre !
Gwenaël Morin qui reprend à sa manière Les Molière de Vitez est très loin de mon esthétique du théâtre. La sienne est brute, dédiée aux comédiens. Mêler Littoral, qui ne parle pas aux gens du coin, et un classique comme Molière permet de donner envie de venir. Mais je leur propose un grand classique dans une forme très forte, proche des arts plastiques avec de jeunes acteurs qui sortaient tout juste du Conservatoire de Lyon à l’époque de la création. Et puis cette idée de faire l’intégrale des quatre Molière, c’est-à-dire de proposer au public de rentrer en salle à 14h pour n’en sortir qu’à 22h, même s’il y a des entractes entre les pièces, est une première excitante.

Quelle sera votre patte en temps que directeur ?
J’ai envie de plus de temps différents pour échanger avec le public si particulier de ce théâtre. Nous avons ainsi conçu des impromptus avec des projections de films, des lectures d’auteurs contemporains et des échanges. Je souhaite aussi revenir à l’esprit initial des lieux, baisser fortement la part des bénévoles qui venaient chaque été ici. C’est pourquoi l’équipe sera encore plus investie. Je joue dans Lenz et Littoral, mais vous me verrez aussi servir des bières au bar et déchirer les billets à l’entrée en salle.


1 L’École nationale supérieure des Arts et Techniques du Théâtre, située à Lyon – ensatt.fr
2 Gwenaël Morin reprend l’audace de Vitez qui avait créé quatre pièces de Molière à Avignon, en 1978, dans un décor vide de tout accessoire.
 Il va même jusqu’à tirer au sort la distribution.

Lenz de Georg Büchner par Simon Delétang, les dimanches 22 & 29 juillet et les 5, 12 &
19 août au Théâtre du Peuple (Bussang, dès 13 ans)

Littoral de Wajdi Mouawad mis en scène par Simon Delétang, du 14 juillet au 25 août (surtitré en allemand les 28 et 29 juillet), au Théâtre du Peuple (Bussang)

Les Molière de Vitez mis en scène par Gwenaël Morin, du
31 juillet au 18 août (les quatre pièces en alternance du mardi au vendredi, intégrale les samedis à 14h), au Théâtre du Peuple (Bussang)

theatredupeuple.com

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