Pan, t’es mort

Après une Nuit des Rois endiablée en 2011, Jean-Michel Rabeux crée Les Quatre jumelles de Copi au Maillon. Un huis clos déjanté, rythmé par des successions d’engueulades et de tueries, entre came dure et jeux d’enfants. Entretien au cœur des répétitions.

Dans l’un de vos éditos pour la MC 93[1. La Maison de la Culture de la Seine-Saint-Denis est installée à Bobigny – www.mc93.com] en 2007, vous vous énerviez contre les polices de la pensée contrôlant jusque nos désirs. Vous affirmiez à l’époque vouloir faire une pièce interdite aux moins de 18 ans, histoire de vous lâcher. Le choix des Quatre jumelles est dans cet esprit ?
Je le pensais, de bonne foi, quand j’ai décidé de la monter. Nous sommes au milieu des répétitions et je m’aperçois qu’elle va être beaucoup moins interdite aux moins 18 ans que je l’espérais. Il m’a échappé que ce texte n’est absolument pas intéressé, contrairement à l’œuvre de Copi en général, par le sexe. Son désordre réside dans la “dope” et la mort. Il y a bien quelque chose du genre avec ces quatre jumelles complètement improbables. Hormis cela, rien d’érotique. Par contre elles se shootent toutes les dix secondes à l’héroïne, au camphre, à la morphine… Et elles meurent toutes les cinq minutes pour ressusciter peu de temps après. Le trouble et le bordel qu’aime tant Copi est là.

Le texte ressemble à un poème trash qu’aurait pu écrire Sarah Kane, mais avec moins de gravité et bien plus d’humour. C’est par ce biais que vous l’abordez ?
J’aime beaucoup rire au théâtre, mais s’il n’est que de surface, boulevardier, d’effet ou de gag comme le texte peut s’y prêter, il contient tout de même une mort toutes les cinq minutes. Et la mort, même si on déconne avec, c’est la mort. Deux des acteurs que j’ai choisi sont de vieux hommes, autour de 70 ans, ce qui crée un effet comique : ils se droguent comme des jeunes gens. Il y a quelque chose d’émouvant et d’amoureux derrière tous ces amusements. C’est tout à fait Copi qui était loin d’être un cynique. Le rire n’est pas fait pour échapper, mais pour pouvoir recevoir le pire, un effroi terrible, l’horreur de la mort. Bien loin d’un rire de stupéfaction télévisuelle…

Illustration de Fanny Walz d'après Les Quatre jumelles de Copi

Il est frappant de retrouver dans cette pièce de 1973, un langage si actuel : celui de junkies un peu paumées, escrocs, violentes mais hyper-sensibles…
C’est en effet étrange. Il y a quelque chose de la brièveté de la langue. Copi était argentin. Il parlait français couramment mais le petit décalage qui existait dans son écriture la poétisait. Toutes les injures n’ont pas changé !

Vos quatre jumelles sont interprétées par trois hommes et une femme, d’âges variés. Une manière de contribuer au trouble ambiant de leurs relations ?
Je connaissais Copi. Il l’avait écrit pour des mecs. Copi demeure très actuel car cette question du genre est assez récente, qui on est et quel sexe on a ? Lui la pose déjà. Être homme ou être femme est un détail à ses yeux. Mon choix a été basé sur une seule chose, trouver des acteurs foutu de jouer cela car c’est extrêmement dur à faire.

Mettre ces mots-là dans la bouche de personnes pas forcément jeune crée un décalage…
Oui, cela crée beaucoup d’humain, du drôle parce que deux vieux qui emploient les mots de la dope n’est pas commun. On attend plutôt de jeunes junkies alors que c’est un cliché ! On peut être accroc à tout âge. Ces vieux fous qui s’envoient en l’air sont drôles, comme une chose un peu impossible et en même temps c’est très émouvant cet amour qui se passe entre eux deux, c’est assez étrange.

Vous présentez l’Alaska où est censée se dérouler la pièce comme « une banquise au-delà du périphérique, avec chiens de traîneau aussi carnassiers qu’enrubannés, icebergs en plastoc, dollars en papier cul, flingues de farce et attrape. Une banquise de boîte de travs. » Ça promet comme décorum déjanté…
Les costumes ne sont pas tout à fait des costumes de travs, ils sont plus étranges, décalés pour ne pas aller dans le trash drag queen, ni dans l’effusion d’hémoglobine puisqu’ils se tuent tout le temps. Tout est plus rêvé même si nous y sommes bien, dans l’esprit.

Les Quatre jumelles de Copi © La Compagnie

La scénographie se compose d’une sorte d’arène noire. Le public sera très proche du plateau…
Nous amenons les spectateurs sur scène, le décor étant lui-même un petit théâtre, une arène. Ils sont sur des gradins, tout en rond autour d’un plateau minuscule de cinq mètres cinquante de diamètre. Le rang de spectateurs le plus loin du plateau est à trois mètres ! Je voulais cette extrême proximité pour créer de l’humain, qu’on voit les comédiens juste à côté de soi.

Quels trucs avez-vous trouvé pour mettre en scène tous ces meurtres et ressuscitations successives ?
On en trouve à chaque fois mais ce qui fonctionne le mieux, c’est que ce soit faux. Ce ne sont pas des vrais morts avec un flingue et du sang qui coule mais plutôt des trucs de gosses : “poum, t’es mort !” Il tombe mais en hurlant pendant trente secondes. Des morts jouées faux qui peuvent à la fois faire rire et effrayer.

On se souvient de La Nuit des Rois que vous aviez présenté l’an passé au Maillon. Vous demandez beaucoup de personnalité et un jeu très travaillé à vos comédiens. Qu’est ce qui vous a surpris le plus dans leur apport en répétition ?
Leur folie. Ils sont comme des enfants alors qu’ils ont entre 40 et 70 ans. Il est très émouvant de voir tout ce mal qu’on se donne pour des jeux d’enfants. La capacité de mes comédiens à aller vers leur propre folie m’a surpris car ce n’est pas facile de jouer la mort quand on a 70 ans. C’est le paradoxe des répétitions qui sont très joyeuses entre cette équipe qui se connaît depuis longtemps. Mais tout le monde cauchemarde. Nos nuits sont morbides. C’est Copi, ça n’a l’air de rien mais ça vous cueille quand même.

Ce Copi-là, qui peut paraître outrageant et irrévérencieux, il combat la bienséance, la moralité et la sacro-sainte norme sociale…
Oh oui. Il ne faut jamais oublier que c’était un exilé politique argentin attaqué par les fascistes. Quand on lui demandait pourquoi il y avait toujours des monstres dans ses spectacles, des pédés, des fous furieux, il répondait cette chose magnifique : « Il y a tellement de gens normaux. » Faisons autre chose, tout ce que l’on cache d’habitude pour exploser, un peu, le poids terrible de la fascisation de la normalité.

Il est toujours assez rare de voir cela au théâtre, même aujourd’hui…
Je pense que ça a toujours été comme cela. Le théâtre comme tous les arts est à double versant. Le premier conforte la pensée, le mode de vie et l’ordre, un autre les combat. L’académisme peut-être beau et le principal du théâtre est institutionnel, c’est comme cela. Mais de temps en temps, y compris dans l’institution, un champ théâtral dit non et explose tout cela de manière plus ou moins réussie et joyeuse…

À Strasbourg, au Maillon-Wacken, du 1er au 4 février
03 88 27 61 81 – www.le-maillon.com

Rencontre avec le metteur en scène Jean-Michel Rabeux autour de Copi, jeudi 2 février, à 17h, à la Librairie Kléber

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