Paint it black

Pour Bertrand Belin, une chanson est un espace réduit où il décrit des situations – sombres – le plus intensément possible. Trois ans après Hypernuit, disque « osseux, écrit dans un état proche de l’hypnose », ce poète de l’épure a livré Un Déluge qu’il voit comme un tableau – noir – dissimulant de multiples saynètes.

Dans le clip d’Un Déluge, on vous voit avancer à contre-courant, fendant une foule. C’est ainsi que vous vous percevez, dans le monde en général et celui de la chanson française en particulier ?

La question de l’isolement m’interpelle. Bien souvent, je me demande si je suis acteur ou spectateur du monde en route. Parfois, il m’arrive de m’en extraire et de l’observer comme si je n’y appartenais provisoirement plus. Je n’essaye pas d’être à contre-courant, je fais les choses comme je les entends, m’approchant d’un idéal. Je ne suis pas en lutte contre une façon de faire, je ne suis pas dans un combat : pour produire de la pop music, on utilise tous les mêmes moyens, un stylo, une guitare… même si j’essaye tout de même de contribuer à une diversification de la chanson.

Vous ne menez pas de bataille, mais semblez fasciné par la bagarre, si on s’en réfère à vos paroles…

C’est une de mes obsessions. Dans Pour un oui pour un non, il s’agit plutôt de l’ADN de la guerre, qu’on retrouve dans les conflits entre deux personnes à propos d’une barrière qui n’est pas placée au bon endroit ou d’une bagnole mal garée. On peut arriver à des explosions de violence motivées par des raisons ridicules et je voulais parler de cette impossible altérité propre à l’espèce humaine. C’est une observation…

Vous regrettez qu’il n’y ait pas eu beaucoup de révolutions formelles dans la chanson…

Je m’interroge quant à la façon dont on accueille la chanson aujourd’hui en France. Les grands modèles – Brel, Brassens, Ferré, Barbara…– sont des repères très forts dans l’imaginaire populaire qui ont sans doute contribué à occulter d’autres manières de faire, “narrativement moins rentables”. On admet que des œuvres d’art plastique aient un certain mystère au moment de leur appréhension par la rétine. On admet pouvoir se poser devant des énigmes picturales, mais dans la chanson, c’est moins répandu… La production de choses originales existe, mais elles vont à l’oreille de peu d’auditeurs car décrites comme absconses ou difficiles d’accès.

Il y a une narration dans Parcs, votre dernier disque, même si elle est éclatée, comme un puzzle déconstruit. Vous préférez donner le goût de quelque chose plutôt que de raconter une histoire…

En tant qu’auditeur, je peux me délecter des textes de Brassens, mais je suis un handicapé de la ligne claire. Dans mes chansons, je dépose des indices, des signes qui contribuent à dessiner un théâtre d’événements. C’est un peu comme si on regardait un tableau de Bruegel ou de Bosch avec beaucoup de scènes partout : une danse folklorique en haut, des gens qui découpent un cochon en bas, un couple qui s’embrasse dans un coin, un fou qui promène un singe en laisse dans l’autre… Voilà comment je projette mes images mentales. S’il y a une narration, elle est fortuite. Je suis dans une démarche picturale, je suis un croqueur qui dispose ici et là les éléments d’un songe, d’un drame, d’une histoire, mais dans un ordre chaotique.

Parcs est un disque de chanson française enregistré à Sheffield, mais qui sonne très américain…

Je baigne dans la culture anglo-saxonne depuis toujours et pratique la musique américaine depuis longtemps, jouant de la guitare électrique, instrument qui a grandi avec le rock’n’roll. Les formes musicales qu’on retrouve dans ma musique sont en résonance directe avec ce que j’écoutais, plus jeune : les classiques d’Hank Williams, de Johnny Cash, de la musique cajun… Plus tard, j’ai découvert Bonnie “Prince” Billy et Bill Callahan : j’aime leur façon de remodeler un matériau musical, de l’amener à une modernité incontestable, de faire du neuf avec du vieux.

« Une marée montante » ou « une plante qui pousse » : vous considérez votre écriture comme un phénomène naturel ?

Comme l’eau ou le feu, je trouve que le langage est un élément. Chaque mot a sa propre dépression climatique, sa météo, il est soumis aux événements. Dans quoi vit-on en dehors de l’air et des mots ? Pas grand-chose…

À Montbéliard, aux Bains Douches, mardi 25 novembre (organisé par Le Moloco en collaboration avec MA Scène Nationale)

www.bainsdouches-montbeliard.com

À Metz, au Caveau des Trinitaires, mercredi 26 novembre (avec Singe Chromés)

www.trinitaires-bam.fr

Dernier album

Parcs, édité par Cinq7

www.cinq7.com

www.bertrandbelin.com

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