Orages d’acier
Remarquable one shot, ces Folies Bergère sont une variation sur l’horreur des tranchées : entre douleur et espoir, il s’agit d’une plongée onirique et tragique dans un univers où le réel se mêle au fantastique.
Les planches sont d’une teinte uniforme. C’est ce qui frappe au premier coup d’œil. Une triste monotonie marronnasse mâtinée de gris et de sépia. La couleur exacte de la boue des tranchées où pataugent les personnages de Francis Porcel (dont les dessins sont saisissants) et Benoît Drousie alias Zidrou (textes). Parfois éclate bien le vermillon du sang lorsqu’une balle ou un obus déchiquète les chairs d’un soldat. Les hommes du 17e Régiment d’infanterie ont rebaptisé ce coin d’enfer Les Folies Bergères puisque « à la fin de la guerre – parce que faudra bien qu’elle se termine un jour, hein ! – on s’est tous juré d’aller fêter ça aux Folies Bergère, à Paris » explique un poilu. Mais en attendant, il faut supporter l’horreur de ces journées d’avril 1918 où le commandement fusille pour l’exemple trois pauvres gars… L’un d’eux survit aux balles. C’est Rubinstein, un Juif condamné à mort pour avoir tranché le sexe d’un sergent antisémite qui s’acharnait sur lui. Fusillé deux fois, il demeure indemne, les plaies laissées par les balles cicatrisant à toute vitesse. Miracle ou délire collectif ?
Dans une drôle de galerie de portraits, on croise également une petite fille perdue au milieu des barbelés, un dessinateur de génie – surnommé Rembrandt – un capitaine un peu perdu, un curieux aumônier, un implacable sniper allemand, un comique troupier (poil au pied) et même Monet peignant ses Nymphéas… étant bien entendu que Dieu et le Diable – qui échangent leurs uniformes chaque jour – sont les grands ordonnateurs de cette tuerie. Entre boucherie ordinaire, visions oniriques et folie furieuse cet album gagne un pari qu’on croyait perdu dès le départ : proposer un récit graphique sur la guerre de 1914 / 1918 qui ait la puissance des bandes dessinées de Tardi sans jamais les plagier ou s’en inspirer.