Opéra-ci, opéra-là
Sobrement intitulée Opéra ! cette exposition retrace une odyssée de plus de trois siècles à Nancy, celle des salles de spectacle, de la période du Duc Léopold à 2019, année où le bâtiment actuel fête son centenaire.
«L’Histoire des théâtres est un reflet de l’Histoire de Nancy », résume Pierre-Hippolyte Pénet, commissaire d’une exposition construite en trois actes (ponctués de costumes et de maquettes de productions récentes de l’Opéra national de Lorraine) correspondant chacun à une époque. Et de poursuivre : « Trois salles de spectacle majeures ont été construites dans la ville au fil des ans. Elles structurent le parcours » se déployant dans une scénographie toute en rouge et noir, entraînant le regard de la scène aux coulisses, du présent au passé. Accueillis par des mannequins vêtus de costumes de la mythique production d’Artaserse (2012) réunissant la crème de la crème du chant baroque, le visiteur plonge dans le XVIIIe siècle sur des musiques de Leonardo Vinci baignant la salle.
Aristocratie
Le Duc Léopold et son épouse Élisabeth-Charlotte d’Orléans, nièce de Louis XIV – dont sont présentés des bustes d’un délicat classicisme – règnent sur le Duché de Lorraine. Amateurs de spectacles (dans lesquels, tel le Roi Soleil, la duchesse se produit avec pages et dames de la cour), ils décident de faire construire une salle dédiée à leur passion dans leur palais. Inaugurée en 1709, il n’en reste rien : réalisés par l’architecte italien Francesco Galli da Bibiena, des dessins d’une grande élégance évoquent cette merveille de style baroque où cascadent les ors. « Elle est également un manifeste de souveraineté et d’indépendance par rapport au Royaume de France », souligne Pierre- Hippolyte Pénet : « Des symboles comme la croix de Lorraine ou la Couronne de Jérusalem – dont Léopold était aussi Roi – y sont très visibles. » Reconstituée en miniature pour l’exposition, cette salle imposante (69 mètres sur 26) et pourvue d’imposantes machineries « était une des plus belles d’Europe ». Ses éléments décoratifs et techniques déplacés à Lunéville ou Florence, elle n’est plus qu’une coquille vide en 1736. Mais le Duc Stanislas Leszczynski a de nouveaux plans : amateur de théâtre (qui fait se produire sur scène “son” nain Bébé dont une effigie costumée rappelle la renommée), il décide de créer la place qui porte désormais son nom pour relier la ville médiévale et la cité nouvelle. L’architecte Emmanuel Héré imagine un ensemble cohérent intégrant la nouvelle Comédie côté ouest, à l’emplacement actuel du Musée des Beaux-Arts. Toiles, dessins (dont une émouvante gouache anonyme) et statues évoquent ce chantier. Dès son inauguration en 1755 – avec le très propagandiste Triomphe de l’Humanité où Stanislas est comparé à Titus, Trajan et Marc-Aurèle –, le lieu devient incontournable, accueillant une troupe de 14 comédiens, un orchestre de 9 musiciens, un choeur de 12 chanteurs et les plus grandes stars de l’époque (ce dont témoignent des portraits de Fleury ou Lekain).
République
La vie de l’institution au XIXe siècle (où se déroulent opéra, ballet et pièces de théâtre) est décrite avec ses heures de gloire – la venue de Coquelin, créateur du rôle de Cyrano, ou de Sarah Bernhardt – et ses vicissitudes, parfois comiques. Un arrêté du Maire de Nancy stipule, par exemple, en 1824 : « Il est défendu à toute personne d’uriner dans le corridor. » Détruit par un incendie en 1906, l’Opéra sera rebâti en face : plans, dessins (montrant notamment le grandiose projet d’Émile André et Gaston Munier refusé car manquant d’escaliers d’évacuation), et photographies illustrent la construction d’un bâtiment signé Joseph Hornecker. Innovant, cet édifice est 100% en béton, puisque de l’ancien Hôtel des Fermes n’a été conservée que la façade. Il a nécessité l’installation d’une gigantesque grue par l’entreprise France-Lanord & Bichaton. Les polémiques liées au chantier sont aussi rappelées, une partie de la population qualifiant le nouveau bâtiment de « verrue kolossale », évoquant peu élégamment les origines alsaciennes de son auteur. Il est inauguré le 14 octobre 1919, avec Sigurd d’Ernest Reyer « un acte politique après la fin de la Guerre, puisqu’il s’agit de montrer aux Allemands, que la République possède aussi des compositeurs majeurs. L’auteur de l’opéra était en effet surnommé le “Wagner français”. » La fin de l’exposition évoque la vie de l’institution entre théâtre de boulevard un brin kitsch des Galas Karsenty-Herbert, échappées belles dansées et grands moments lyriques dont l’obtention du label “Opéra national” en 2006 ou Donna abbandonata, spectacle d’Antoine Bourseiller de 1987, révélant une Cecilia Bartoli de vingt ans.
À la Galerie Poirel (Nancy), jusqu’au 24 févier
opera-national-lorraine.fr
Visites commentées de l’exposition, chaque dimanche (15h)
Visites commentées de l’Opéra national de Lorraine (18/01 et 15/02, 18h)
Pour le jeune public : Dessine- moi un opéra (06/01, 14h) et L’Atelier du chapelier (14 & 21/02, 14h30)