Notre-dame de l’Europe
Un chiffre : 57,57%. C’est celui de l’abstention globale en France, aux élections européennes de 2015. Dans quelques jours, gageons qu’il sera au moins égal, marquant la défiance de la population face à une construction perçue comme technocratique et adémocratique qui a oublié la culture en chemin, avec un primat d’initiative de la Commission et une décision finalement prise par les États. Jamais en effet les gouvernements n’ont souhaité créer les contours d’un véritable projet politique sous-tendu par une vision commune. La plus belle illustration est devant nos yeux chaque jour : des billets de banque dénués d’âme. « Une symbolique sans chair. Des monuments virtuels pour une Europe virtuelle. Des pictogrammes passe-partout. Signaux hors contexte signalant une zone économique sans ambition historique ni valeurs morales revendiquées », écrivait Régis Debray en 1999 dans Les Cahiers de médiologie, bien avant qu’il analyse avec brio L’Europe fantôme (Gallimard, 2019). À l’époque, il semblait impossible de choisir des figures ou des monuments représentant le continent. Misère de l’égalitarisme forcené dont la seule vertu est de ne fâcher personne, mais qui n’engendre que l’insatisfaction à long terme. L’Europe a pourtant besoin de symboles et d’incarnations de pierre ou de verbe. Le chagrin transcendant frontières et religions suscité, à l’échelle du continent, par le récent incendie de Notre-Dame de Paris constitue une éclatante illustration de cet impératif catégorique. Une histoire et une culture commune habitent les Européens : elles se sont brutalement rappelées à eux, mais semblent bien absentes d’une construction européenne vide de sens dont l’horizon indépassable se réduit à l’économie et au commerce. En se souvenant des vers de Gérard de Nerval – « Notre-Dame est bien vieille : on la verra peut-être / Enterrer cependant Paris qu’elle a vu naître » –, espérons que l’Union saura quitter les eaux saumâtres où elle barbote aujourd’hui… sous peine de dissolution prochaine et annoncée.