Nos Paysages mineurs de Marc Lainé

Nos paysages mineurs © Simon Gosselin

Avec Nos Paysages mineurs, Marc Lainé dissèque avec mélancolie l’implacable train-train du patriarcat et du mépris de classe, ne laissant aucune chance à un couple des seventies.

Détricoter une histoire d’amour en une heure de voyage en train entre Paris et Saint-Quentin. Revisiter, à chaque passage elliptique dans un tunnel dilatant le temps, ce qui se joue de domination sociale et masculine entre deux amants s’unissant, à l’orée des années 1970. Montrer comment les mots et les postures d’un professeur de philosophie, qui s’enorgueillit d’enseigner dans un petit lycée de province, imposent un mépris insoutenable à sa compagne, fille de prolétaires, vendeuse au Bazar de l’Hôtel de Ville de Paris.

L’intimité de leurs rapports révèle les fractures politiques, les contradictions et les mécanismes insidieux d’un intellectuel prompt aux grands discours sur l’abolition des rapports de classe, sans voir qu’il les reproduit avec une violence froide et aveugle dans sa propre cellule familiale. Un homme de son temps, vivant cette histoire d’amour – débutée avec le culot de la supériorité dans le wagon qui sert de huis-clos à cette pièce ferroviaire – comme une « révolution incroyable ». Les kilomètres filent comme les années entre 1969 et 1976, égrenant la passion naissante entre celui qui lit Perec et celle qui contemple les gouttes d’eau lézardant les vitres sans masquer le paysage.

Nos paysages mineurs © Simon Gosselin
Nos Paysages mineurs © Simon Gosselin

Féru de cinéma, avec lequel il tisse depuis plusieurs pièces des liens féconds, Marc Lainé signe une scénographie dans laquelle le couple prend place dans son compartiment, à côté d’un écran sous lequel une maquette de petit train électrique se faufile inlassablement entre usine, pylônes électriques et arbres épars. « Une trajectoire banale, belle et forcément triste, entre deux destinations autant qu’entre deux personnes que leurs milieux sociaux opposent », dépeint un metteur en scène qui place des caméras mobiles filmant en direct, et alternativement, les visages au plus près et le parcours du train miniature.

Accompagné par la musique originale composée et interprétée en direct par le violoncelliste Vincent Ségal (ancien sideman de Cesária Évora, M, Oxmo Puccino ou Elvis Costello), ils y chantent comme chez Jacques Demy. S’y déchirent aussi. Il faut dire que Liliane reprend des études à Vincennes, en quête d’émancipation comme d’indépendance. Avec une acuité sans pincettes pour le sentiment de supériorité masculine, Paul passe du pygmalion au despote obnubilé par sa propre réussite, dictant le chemin à emprunter par sa compagne, dont il ne supporte pas les accointances avec les féministes du MLF post soixante huit. Entre luttes d’influence, désirs et dégâts de coups bas aussi bien-pensants qu’indécents, les paysages intérieurs de ces boomers témoignent, à leur manière, de ces Années qu’Annie Ernaux a si bien retracées.

Nos Paysages mineurs

Au Théâtre Dijon Bourgogne du 8 au 10 novembre et au Théâtre de La Renaissance (Oullins) du 15 au 17 mars 2023
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